Interview de Jonsi (Sigur Rós)

Jónsi
C’est son premier jour de promotion, Jónsi est frais et dispo pour parler de son nouvel album 'Go', un projet solo. Il m’indique que j’ai du rouge à lèvre sur les dents : est-ce une tactique pour me déstabiliser ? Je suis sur mes gardes : c’est toujours louche une personne que tout le monde adule ! Mais il s’est gentiment plié à l’exercice de répondre à ma longue liste de questions.


Je lui explique la situation : Arnaud aurait voulu faire cette interview car il est fan de son travail, le comparant même à Dvorak. Malheureusement, n’ayant pas pu se libérer, nous avons préparé l’interview ensemble. Tout d’abord, d’où proviennent ces chansons ? « La plus vieille chanson a peut-être 10 ans. J’ai collectionné ces chansons au fil des années. J’ai été trop occupé pendant longtemps pour avoir le temps de m’y pencher… quand on y pense, ça fait déjà 16 ans que je suis avec Sigur Rós. »

Dans ma tête c’était un album acoustique calme… jusqu’à ce qu’il explose

Ce recueil de chansons a évolué d’une manière originale : « Quand j’ai commencé, j’avais écrit les chansons à la guitare, au piano et à l’harmonium. Donc j’avais l’image d’un album acoustique très minimal, j’avais même prévu de l’enregistrer chez moi. Je suis ravi du résultat, mais dans ma tête c’était un album acoustique calme… jusqu’à ce qu’il explose. Si j’avais su, je l’aurai approché d’une manière différente : au final, c’est un crazy pop album. »

Discographie

Contrairement à ce que l’on pourrait penser « ce n’était pas des chansons prévues pour l’album de Sigur Rós. » La composition chez Sigur Rós se fait en communauté. « Avec Sigur Rós, on veut tout faire nous-mêmes : on ne fait confiance à personne, on mixe l’album nous-mêmes, on n’écoute personne. Par contre, quand on travaille seul, on peut vite virer fou : quand j’ai vu que tout ça prenait une tournure schizophrénique, j’ai décidé de me laisser porter. J’ai appris à écouter les opinions de ceux qui m’entourent. »

J’avais peur de ma voix à l’époque… j’étais mal à l’aise avec qui j’étais

Il semble que la préparation de cet album l’ait aidé à dépasser certaines barrières : « Avec Sigur Rós, on est comme dans un cocon, on se connaît mieux que personne, tout est réglé comme du papier à musique. Mais quand on fait les choses par soi-même, ça peut être terrifiant. On doit prendre toutes les décisions, on doit faire semblant de savoir ce qui est dans l’intérêt du projet. C’est terrifiant mais libérateur, y’a du bon et du mauvais, mais j’en retire surtout du bon. C’était probablement salutaire pour moi de faire cette démarche. »
Il s’est aussi guéri d’une inhibition inattendue : « Pour cet album, on s’est focalisé sur ma voix et je pense que c’était nécessaire, parce que j’avais peur de ma voix à l’époque. J’avais peur d’être un chanteur, enfin pas peur, mais j’étais mal à l’aise avec qui j’étais. Je ne me suis jamais considéré comme un chanteur auparavant. »

Jónsi a donc travaillé seul sur la préparation de cet album, mais a choisi l’apport de personnes talentueuses pour le mixage: « Le batteur est finlandais, Samuli Kosminen. Il a apporté beaucoup de petites additions au niveau des percussion. Ce que j’aime chez lui c’est qu’il joue avec son cœur. Pour les arrangements, c’était Nico Muhly, il est du genre super actif, un gars génial, bourré de talent. Je voulais quelque chose de différent de Sigur Rós, et c’est moins contemplatif : ça part un peu dans tous les sens. »
Alex Sommers aussi était présent sur ce projet, mais plus à titre de conseiller qu’à titre collaboratif cette fois-ci : « C’est la personne qui me connaît le mieux. Il a été présent sur ce projet de bout en bout. Je pense que c’est très important pour moi de l’avoir à mes côtés. Des fois, tout seul je pars un peu sur une autre planète, et il me ramène sur terre. »

Ma collaboration avec Tiesto ? J’avais envie de briser l’image sacrée qu’on accorde à Sigur Rós

En parlant de collaboration, je me permets de lui demander ce qui a bien pu lui passer par la tête en faisant ce duo avec Tiesto. Sa réponse m’a beaucoup plu : « Tiesto est fan de Sigur Rós, c’est lui qui est venu me proposer de chanter sur une des chansons de son album et je me suis juste dit, pourquoi pas ? Beaucoup trouvent que cette collaboration avec Tiesto est ridicule, je trouve ça drôle. Sigur Rós est presque sacré pour certaines personnes, ils donnent au groupe un aspect intouchable presque religieux ; j’avais un peu envie de briser cette image. »

La recette de la touche islandaise : faire exactement ce qu’on veut, sans compromis

Un autre mystère socio-culturel à éclaircir : quel est ce petit quelque chose qui définit l’identité musicale islandaise ? « Cela vient du rapport des musiciens avec la musique : ils font ce qu’ils veulent ! Ils ne font pas de compromis, ils n’essayent pas de reproduire ce qu’ils entendent à la radio, ils n’essaient pas de réussir, ou d’être célèbre. Je pense qu’ils sont juste honnêtes. C’est ça cette fameuse touche islandaise : faire exactement ce qu’on veut, sans compromis. »

Parlons linguistique, sur Go il n’emploie pas le Volenska, pourquoi ? « Ca remonte à quand on a enregistré notre premier album, Von : c’est pas des paroles, c’est juste des sons – quand on a écrit la chanson, j’ai écrit la mélodie avec ma voix, mais j’ai pas mis de parole. Et là, un journaliste a décidé que ces sons étaient des paroles, que j’avais inventé une langue – mais ce ne sont que des sons. Je pense que les autres chanteurs font la même chose quand ils écrivent des chansons, ils chantonnent des mélodies pour la partie de chant avant d’écrire les paroles. »
Mais apparemment, le fait de chanter en Anglais ne participait pas à l’idée de rendre son album plus accessible, c’était juste un exercice, un challenge que d’écrire les paroles dans une autre langue que sa langue natale.

Un ‘Boy Lilikoi’ c’est un garçon proche de la nature… le garçon de mes rêves

Il ne me reste que deux minute, une petite curiosité à assouvir pour la route… Qu’est-ce qu’un ‘Boy Lilikoi’ [single extrait de son album] ? « C’est un garçon… (silence, puis rires) Non, plus sérieusement, avec Alex on était à Hawai pour l’album Riceboy Sleeps. On s’est retrouvés au milieu de la jungle pour le mixage et la nature était tellement belle… Un garçon Lilikoi ce serait le garçon de mes rêves… un garçon proche de la nature… Quelqu’un que je voudrais être ou quelqu’un que j’aimerais rencontrer…

Jónsi – Boy Lilikoi (Live on KEXP)

Pour les nouvelles :
Malgré les rumeurs, le prochain album de Sigur Rós ne sortira pas cette année : « On avait commencé à bosser dessus pendant quelques semaines, et on a tout jeté pour recommencer à zéro, donc peut-être l’année prochaine. »
En attendant donc Go, l’album solo de Jónsi à paraître le 5 avril 2010. Nous guettons son site tous les jours pour les dates de sa tournée prochaine.

3 réponses sur « Interview de Jonsi (Sigur Rós) »

Un petit coucou et salutations!! Heureuse de trouver ce blog en français! Jon, votre voix est magnifique. Votre musique touche les profondeurs mon âme . Je tiens à vous remercier. Vous rendez au monde quelque chose qu’il a perdu. La musique élève les âmes. Mes enfants aussi écoutent les albums à la maison :)
Ohhhh et j’ai hâte de vous revoir à Montréal!! J’y étais le 20 sept 08 :)

Merci et longue vie à vous!!

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