Interview de La Maison Tellier

Interview : La Maison TellierLa Maison Tellier sort son troisième album, 'L’Art de la Fugue', c’est l’occasion de les rencontrer. Je m’aventure dans le fumoir, l’équipe est au complet, même Daddy Tellier est là. A parler de bordel, c’est un vrai foutoir là dedans, l’odeur d’homme se mêle au tabac froid, la seule touche féminine c’est Whitney Houston, en fond, pour l’ambiance. Très rapidement, la conversation se focalise sur Raoul et Helmut, à l’origine du groupe.

La Maison Tellier

Après quelques vannes, on s’engage sur le sujet de leur dernier album. Ils se sont exilés pendant deux semaines à la campagne pour l’enregistrement. Leur idée était de « s’approprier un lieu en ramenant notre studio sur place, pour se retrouver tous dans un endroit où il n’y a rien d’autre à faire que de la musique ou jouer aux cartes. Enregistrer en ville on l’avait déjà fait pour le premier album, c’est pas du tout pareil. Le tout, c’est les méthodes de travail, ensuite ça pourrait être intéressant de ramener d’autres choses, d’essayer de partir dans un coin totalement différent. »
Ont-ils des idées de lieux d’enregistrement ? En vrac : « Pourquoi pas au bord de la mer, ou alors pour une fois dans un studio normal, c’est aussi une chose qu’on a jamais faite. Tout le monde dirait New York ou le studio d’un artiste, pourquoi pas : il paraît qu’Austin c’est assez trendy pour ça, Tucson aussi » Mais ils gardent les pieds sur terre : « L’avantage de la campagne normande quand tu sors pour aller fumer ta clope, t’es dans un champs, et pas dans la rue avec quinze camions de livraison… »

C’est classieux d’avoir Camus comme référence, même si je ne m’y connais pas en Camus

Discographie

J’ai trouvé l’album chargé de référence bibliques : ‘Josh the Preacher’, ‘Laissez Venir’, ‘La Peste’, et même dans ‘L’Art de la Fugue’… Lequel se prend pour le Messie ? Tous, solidaires, dénoncent Helmut. Il tente de se justifier : « Oui, enfin, c’est des références assez universelles, c’est une bonne base de départ à la chanson. Ca a un côté un peu iconoclaste à peu de frais. » Raoul vient lui prêter main forte : « C’est notre culture, notre civilisation » Helmut reprend son explication : « Ca fait partie des références intégrées. Ce sont des influences même littéraires puisque ça irrigue aussi une partie de la littérature américaine, dont on peut s’inspirer. Quant à ‘l’Art de la Fugue‘, c’est un clin d’oeil à ‘Black Wings’ de Tom Waits, où il parle lui-même de la bible. Mais je me prends pas pour Jesus. »
Au début, quand j’ai vu le titre La Peste, j’ai eu peur que ça fasse référence à Camus, que je n’ai pas lu ; Helmut me confirme mes doutes : « Ca vient de là. Je l’ai pas lu en entier, mais y’avait une image où il va prendre un bain pour se purifier. Cette image-là m’a marqué, je l’ai gardée dans la chanson, mais il n’y avait pas de discours derrière. C’est classieux d’avoir Camus comme référence, même si je ne m’y connais pas en Camus. »

Avec cet album, on est arrivé à réunir deux mondes qui n’ont rien à voir

Camus, Maupassant, ils se payent des références de haut vol… Ils m’arrêtent tout de suite : « Maupassant c’est convenu. C’est pas plouc mais c’est pas élaboré non plus : c’est raccord avec nous. Mais on n’est pas centrés non plus dans la référence à Maupassant, si on pousse le parallèle c’est pour son écriture simple, qui va facilement vers les gens. Pas besoin d’avoir de dictionnaire ou d’autres connaissances pré requises pour accéder à ce qu’il veut dire. »
Là je note un paradoxe, car Maupassant est un réaliste, or leurs chansons partent dans un délire de western enchanté. « Tout le but c’est de rendre ce mélange cohérent ; et au troisième album on est arrivé à réunir deux mondes qui n’ont rien à voir. La seule connexion ce serait l’époque à la limite : La Maison Tellier, c’est fin XIXe, ce qui coïncide avec la conquête de l’ouest, l’apogée de tous ces mythes qui ont pris dans l’imaginaire occidental. » Raoul confirme : « C’est paradoxal, mais pas incompatible. »

L’Anglais ça permet plus de poésie, une sorte d’apesanteur

Là où des groupes splittent à savoir s’ils vont écrire les paroles en Anglais ou en Français, ils coupent la poire en deux et mêlent les deux langues avec une aisance presque impertinente. « L’Anglais ça permet plus de poésie, une sorte d’apesanteur. En Français tu peux pas te permettre ça, ou alors c’est vite très bizarre ; et limite un peu chiant. Bashung par contre y arrivait très bien, faire prendre la sauce alors que ça part dans tous les sens, sans vraiment de colonne vertébral. Pour moi en Français faut que ce soit un minimum réaliste. »
Le choix de la langue se fait suivant la mélodie, explique Raoul : « Sur certaines on peut mettre un texte en Français et d’autres où c’est pas possible ou alors ça nous convient pas. Moi par exemple, je sais pas du tout écrire en Français, donc les miennes sont forcément en Anglais. » Je lui demande de développer son propos. « Certaines mélodies sont clairement anglo-saxonnes : au mieux ça sonne comme Joe Dassin. Tout est dans le débit, la métrique du texte. C’est une question de rythmique, mais c’est aussi qu’en Français, c’est plus difficile de faire traîner des syllabes, tu peux pas le faire avec n’importe quelles paroles ou avec n’importe quelles notes. »

Le premier clip extrait de l’album est ‘Suite Royale‘.

J’avais pensé que quand ils n’avaient pas grand-chose à raconter, c’était plus simple d’utiliser l’Anglais. Helmut ne nie pas : « Quand tu décides que la chanson va être en Anglais, tu vas effectivement passer moins de temps sur le texte. » En bon père, Daddy Tellier prend sa défense : « Autant vous aviez certaines chansons en Anglais que vous avez changé en Français après coup. » Raté, Raoul rétorque qu’ils avaient dans l’idée dès le début de la mettre en Français. Helmut, très pragmatique, me donne un exemple : « Goldmine, sur cet album, je l’avais essayée en Français et ça sonnait pas : même si j’avais pris le temps de faire un beau texte, ça serait resté bizarre, ça venait du phrasé, du débit… »

Toxic‘, elle est super bien écrite cette chanson, faut juste s’enlever de l’idée que c’est Britney Spears

Je ne démords pas de mon idée de paradoxe, j’avance un autre point : les reprises. Comment peut-on interpréter ‘Killing in the Name’ puis ‘Toxic’ ? Raoul taquine : « C’est la culture outre atlantique. On prend tout ce qui est bon à prendre. Sans rire, ‘Toxic’ est une très bonne chanson, même si c’est pas Britney qui l’a composée, parce que je pense qu’elle a composé aucune de ses chansons, mais peut importe. En plus c’est tombé à un moment où c’était un tel tube incontestée, beaucoup d’artistes l’ont trouvée intéressante cette chanson : elle est super bien écrite, faut juste s’enlever de l’idée que c’est Britney Spears. » Raoul recentre le sujet : « On en a fait que deux des reprises comme ça, après on a repris des trucs beaucoup plus convenus par rapport à la musique qu’on faisait, et de manière plus classique [‘Les terres brunes‘ de Dominique A]. Sinon les reprises, c’est pour m’amuser : j’entends une chanson, je me demande comment est-ce que je pourrai la chanter, ou la faire chanter. »

Pour finir, je leur pose la question qui brûle les lèvres de tous leurs fans : sont-ils engagés dans la lutte pour la réouverture des maisons closes ? Helmut prend la balle pour l’équipe : « J’irais pas jusqu’à militer pour ça mais il y a effectivement tout un fantasme autour de cette période là : pas juste les maisons closes mais la belle époque, où visiblement, certaines catégories de la population avaient l’air de bien s’amuser. Et les maisons closes faisaient partie de cet univers là. En général, au sein du groupe, on milite pas pour grand-chose mais personnellement, c’est autre chose. Par exemple, si on est à l’étranger, dans un pays où y’a des bordels, d’un point de vue sociologique, on serait allés voir comment c’est… »

L’Art de la Fugue est à paraître le 22 mars.

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