Solaire Julien Pras

Julien Pras partageait la scène de l’Epicerie Moderne le 6 février dernier avec Zak Laughed et son amie Emily Jane White. Normal de jouer dans une épicerie fine pour un gourmet des sons, un maitre queux de la mélodie ciselée, un chef pas toqué qui a sans contexte remporté ce soir là ses étoiles au guide Michelin de l’émotion en jouant son premier album solo, Southern kinf of slang. Rencontre avec un « cuisinier de l’âme »

Tout d’abord, pourrais-tu nous rappeler ton parcours depuis Calc (dont Julien est le lead singer, ndlr) et ses albums unanimement salués par la critique à ton projet solo ? Sont-ce des chansons prévues pour Calc ou des titres bien à toi ? bref, quelle a été ta petite cuisine ?

Après l’enregistrement du dernier album de Calc (dance of the nerve) on a enchaîné avec un album de Victory Hall, un autre groupe dans lequel je joue, avec Hugo et David de Calc, ainsi que Martial, disquaire notoire de Bordeaux. J’ai enregistré et mixé l’album chez moi sur une période d’un an, entre l’été 2007 et fin 2008. On faisait ça petit à petit, entre deux tournées de Calc. Ça a été une expérience formatrice de faire ce disque entièrement à la maison. On l’avait déjà fait pour Calc (Real to reel en 2005) ou Pull (un autre groupe avec David et Hugo) ou des disques d’amis que j’avais enregistrés chez moi sur mon 4 pistes, mais c’était la première fois que j’utilisais un logiciel. Ça m’a donné envie de concrétiser cette idée d’album solo qui me traînait dans la tête depuis un moment. Depuis quelques années je jouais de temps à autre en solo, je faisais pas mal de reprises, des morceaux de Calc ou Victory Hall, et on se disait avec les autres que ça serait cool que je fasse un disque tout seul, très folk, qui me permette de tourner léger, juste ma guitare et moi. J’ai composé la plupart des morceaux spécialement pour cet album, bien que quelques uns aient été faits à partir de bases que j’avais de coté, initialement prévues pour Calc ou VH. J’ai structuré et arrangé ces morceaux au cours de l’enregistrement, sur une période de 9 mois environ.

Discographie

Quelles sont tes influences en tant qu’auteur compositeur interprète ?

A la base je voulais faire un album assez épuré, axé sur la guitare acoustique et le chant. J’ai acheté une 12 cordes acoustique, sur laquelle j’ai composé la plupart des morceaux, et je pensais faire un album basé sur cet instrument. J’écoutais alors pas mal de disques de kora, Toumani Diabaté, Ballaké Sissoko, Thee Stranded Horse, et j’aimais bien l’idée d’un disque centré sur un seul instrument. J’adore Karen Dalton dans un autre registre, qui jouait principalement de la 12 cordes et du banjo, ou encore Johanna Newsome et sa harpe magique… Puis au cours de l’enregistrement, j’ai un peu dévié de trajectoire en arrangeant de plus en plus les morceaux, mais la guitare sèche est restée la base et l’élément central des chansons. Je pensais toujours à Neil Young, Nick Drake, Big Star, et j’écoutais aussi beaucoup d’albums aux arrangements classieux, baroques ou psychédéliques genre SF Sorrow des Pretty Things, Odyssey & Oracle des Zombies, Their Satanic Majestie’s Request, Judee Sill, Fleet Foxes… Bon Iver aussi, dans le style fait maison avec trois bouts de ficelle.

Tu chantes en anglais comme beaucoup de groupes français de nos jours (Hey Hey My My, Tahiti 80, Cocoon, H-Burns, Jil is Lucky…) parce que tes racines viennent de la musique anglo saxonne ? C’est un plus pour l’étranger mais que penses tu de Radio France qui veut restrindre la diffusion de groupes français qui ne chantent pas en français ?

Ça vient en grande partie de mes influences. D’un autre coté j’ai habité deux ans aux Etats-Unis quand j’étais gamin. En plus d’apprendre à parler anglais j’y ai découvert Poison, Def Leppard et Guns & Roses sur MTV et l’envie de faire du rock. Donc c’est assez naturel pour moi de chanter en anglais. C’est la même logique qui a fait que j’ai choisi la guitare plutôt que l’accordéon par exemple.
Après, l’écriture c’est autre chose, c’est effectivement une contrainte, mais ça fait partie du processus. J’aimerais être à l’aise avec le fait de chanter en français, j’adore le dernier album de François and the Atlas Mountains par exemple, la façon dont il passe d’une langue à l’autre, parfois dans le même morceau.

Sur scène tu es seul ou parfois bien accompagné, que penses-tu de ce retour à une musique plus simple, plus acoustique, une sorte de revival folk depuis 2 ans ?

J’ai toujours aimé et assisté à ce genre de concert, pour moi c’est pas vraiment nouveau. Si tu penses que c’est plus populaire qu’avant alors tant mieux ! J’aimerai néanmoins pouvoir jouer avec d’autres musiciens plus souvent. J’aime beaucoup cette formule vraiment simple, pure et prés de l’os, mais c’est agréable de pouvoir jouer ces morceaux avec d’autres, et de pouvoir recréer une partie des arrangements du disque sur scène. Je ferai quelques concerts en avril accompagné par des cordes, je suis très excité par ce projet. Et pouvoir jouer avec Emily et ses musiciens sur la tournée était merveilleux, ils m’ont spontanément proposé de m’accompagner, c’était adorable. J’aimerais bien aussi jouer ces morceaux avec mes comparses de Calc un de ces jours. Je sais d’avance que ça serait parfait.

Le marché du disque est ce qu’il est, arrives-tu à vivre de ta musique ? que penses tu de toutes les dernières modes, Radiohead qui diffuse directement son album, Deezer ou Spotify qui diffusent en streaming, Jamendo, un modèle qui rémunère directement les artistes ou encore My Major Company et le financement d’album par les internautes ?

Je ne sais pas trop quoi en penser, je suis un peu largué sur tout ça… je vais chez le disquaire, j’achète des disques et je rentre les écouter chez moi. Après tous ces nouveaux modes de diffusion sont assez intéressants, mais je reste attaché au disque, ça serait vraiment triste que ça disparaisse.

Alors es-tu plus CD, Vinyle, fichiers numériques ?

Vinyle ! J’aimerai que l’album soit disponible en vinyle un jour. J’ai quelques amis qui l’achèteraient uniquement sous ce format, ce que je comprends très bien. J’aime les cd aussi mais l’objet est plus classe en vinyle, et j’aime bien la division d’un album en deux faces.

Les titres sur Southern kinf of slang semblent plus amples que sur scène, plus « produits » au sens noble du terme, piano, banjo, violon, choeurs, comment travailles-tu en studio ? Tu en possèdes un ?

J’ai un peu de matériel, quelques bons micros. J’ai travaillé sur l’album assez longtemps, j’ai pris le temps d’essayer différents placements de micros, différents arrangements… je mixais au fur et à mesure, enlevant/rajoutant des choses tout le temps, j’avais parfois recours à des ruses inavouables pour corriger certains défauts, c’était assez artisanal. Je suis content de ça, cet aspect presque manuel, j’ai l’impression d’avoir malaxé de l’argile, travaillé du bois…

Ton album s’intitule, Southern kind of slang, peux-tu nous expliquer quel est cet « argot du sud » ?

Il y a quelques années j’avais fait lire les textes d’un album de Calc à une amie américaine pour qu’elle les corrige. Il y avait une abominable faute de syntaxe dans une des chansons mais elle m’a dit que ça passait, que ça pouvait passer comme une sorte d’argot du sud. J’ai utilisé cette phrase dans une chanson, et quand il a fallu trouver un titre pour l’album, j’ai pensé à ça ; je venais d’enregistrer cet album tout seul, avec toutes les petites maladresses que ça peut engendrer, mes textes sont ce qu’ils sont, parfois cryptiques ou absurdes mais c’est mon style … on peut entendre des bruits de sonnette ou de grincement de porte ici et là… après des mois de travail, au moment du mastering, j’avais atteint un niveau de perfectionnisme proche du pathologique, alors sur les conseils avisés de ma chérie je me suis dit que je devais laisser aller, que ce disque, enregistré et mixé dans une minuscule pièce avec un minimum de matériel ne pourrait pas être parfait, mais qu’il reflétait plutôt bien ce que j’ai en tête, ma personnalité… Parfois ce qu’on considère être des défauts sont des traits attachants pour d’autres, c’est bien de les mettre en valeur. Alors j’assume ce « genre d’argot », qui n’a pas grand-chose à voir avec le langage finalement !

Peux-tu nous parler de ta rencontre avec Emily Jane White qui je crois a habité Bordeaux un moment ? Que partagez-vous musicalement ensemble ? J’ai vu aussi que tu jouais avec Tallest Man on Earth, le connais-tu ou c’est parce qu’il est chez 3C comme toi ?

J’ai rencontré Emily à Bordeaux en 2003, elle y a habité pendant prés d’un an. On a souvent joué ensemble à cette époque, je l’accompagnais sur scène. On a aussi enregistré quelques morceaux chez moi. Elle chante sur un morceau de Calc, sur l’album Real to Reel. J’adore sa musique depuis toujours, ses deux albums sont superbes. En décembre 2008 on a fait une résidence à Bordeaux, qui s’est finie par un concert, dans un théâtre. C’était une super expérience. J’ai enregistré deux de ses morceaux pour mon album, sur lesquels elle chantait et jouait du piano. Je lui ai donc proposé d’enregistrer ses parties, on a fait ça à distance vue qu’elle habite en Californie. Je suis ravi qu’elle ait participé à l’album, ça me tenait à cœur. La tournée qu’on a fait ensemble en février était géniale, je faisais les premières parties et je jouais ensuite de la basse dans son groupe. Et comme je l’ai dis précédemment, ils m’ont fait l’honneur de m’accompagner sur quelques morceaux. J’espère qu’on pourra réitérer cette expérience à l’avenir !

As-tu des lieux privilégiés d’inspirations, des lieux fétiches ?

Je n’ai pas de lieu privilégié, c’est surtout une affaire de moments. Ce qui est sûr c’est que je suis plus productif quand je me sens bien, serein. Les idées peuvent venir n’importe où, aussi bien au milieu de la forêt que dans un bar

Si tu devais choisir parmi ces disques sortis très récemment un ou deux disques pour un long voyage, que prendrais tu ? Get Well Soon, Tindersticks, Owen Pallett, Gush, The Leisure Society, Eels, Doug Paisley, Musée Mécanique, H-Burns ?

Mince, à part Tindersticks et Eels, je ne connais rien… Gush un peu, c’est très bien. Du coup n’importe lesquels dans ce qui reste, pour découvrir.

Et pour finir, as-tu un groupe ou plusieurs que tu apprécies et que tu aimerais faire connaitre davantage ? J’ai posé le lendemain de ta venue à l’Epicerie moderne, cette question à Jil de Jil is Lucky et qui m’a spontanément donné ton nom en me disant que tu ouvrais pour lui à la Cigale, que ton disque était « d’enfer » !

Super, merci à lui ! Alors je dirais The Subhuman, c’est un ami hollandais. Il a une très belle voix assez grave, il compose des morceaux assez folk, mais très riche harmoniquement. Il utilise plein de vieux claviers, des sons de guitare de l’espace…

Si tu avais une question décalée pour Jil qu’elle serait-elle ?

Ils ont de la chartreuse en Inde ? (rires)

Julien Pras sera en concert avec Jil is Lucky à La Cigale à Paris le 7 avril 2010

Lyonnais qui revendique sa mauvaise foi car comme le dit Baudelaire, "Pour être juste, la critique doit être partiale, passionnée, politique...", Davantage Grincheux que Prof si j'étais un des sept nains, j'aime avant tout la sincérité dans n''importe quel genre musical...

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