Luke la voix chaude

Rencontre littéraire avec Thomas Boulard, chanteur passionné et passionnant du groupe français Luke à l’occasion de leur passage au festival Musilac le 18 juillet dernier et avant leur participation au festival Woodstower samedi soir près de Lyon. 10 ans que Luke arpente les routes tortueuses du rock français avec quatre albums dont le dernier né, D’autre Part pourrait signifier, d’un autre point de vue.

Bonjour Thomas, merci pour la clim’ par cette chaleur, pour commencer, quelle est ta pratique d’Internet sans parler du téléchargement, que fais-tu du net dans ton quotidien, est-ce que tu vas t’informer sur la musique ou d’autres choses ?

Et bien Je viens d’avoir un Iphone 4 et depuis j’ai arrêté de lire… Enfin, j’y suis arrivé (sourires), j’ai essayé par tous les moyens d’arrêter de lire (sourires) ! Donc je ne lis plus, ni les journaux, ni les livres. Il faut que j’arrive à me calmer ! Mais bon ma pratique d’internet est comme tout le monde, elle est assez facile : c’est un minitel généralisé. Je suis beaucoup sur Spotify, je paie un abonnement par mois, c’est légal, comme ça j’écoute beaucoup de choses, ça permet d’écouter énormément de musique qui n’est pas réellement diffusée comme la musique sud américaine ou africaine. Ensuite, des sites de sport, ou le site du Monde, mais cela ne vaut pas la lecture du journal papier parce que quoiqu’il en soit ce n’est pas la même chose, on a l’impression qu’on connait les nouvelles et en fait pas du tout ! J’ai une pratique d’internet qui est aussi un peu flippée, je me méfie beaucoup parce-que je trouve que c’est le véhicule de la novlangue, en gros ce sont les américains qui ont gagné… Quand on fait de l’internet on fait de l’anglais en fait et c’est ça qui me dérange, une langue anémiée… Georges Orwell…

Discographie

Ah bah tu vois tu ne lis pas mais tu connais !

Non mais je lisais beaucoup mais depuis un mois je ne lis plus, enfin j’ai réussi à ne plus lire !

C’est quand même formidable ce que tu dis là car dans le dernier album il y a quand même des références littéraires notamment le robot c’est d’Asimov non ?

Oui c’est Asimov mais surtout Zamiatine qui a inspiré Huxley et Orwell… Mais pour revenir à internet par rapport au français, moi j’ai un vrai problème, je pense que l’écart civilisation se joue entre l’écrit et l’oral et en fait on a réussi finalement à lutter, on a fait une civilisation basée sur l’écrit et en gros, le droit, la manière de réguler la société, la manière d’interagir entre nous a été vraiment fondée sur l’écrit. C’est plutôt un effet de civilisation et c’est ce que j’ai essayé d’écrire dans l’album car c’est le rôle de l’artiste de décrire le monde qui change, et je pense que l’oral se transforme en image et qu’il y a une lutte fondamentale entre l’écrit et l’image et je crois que le monde de l’image est en train de gagner et ça a beaucoup d’incidences sur les formes de pensées, la manière de parler, alors on voit par exemple l’équipe de France de football qui n’arrive plus à parler. Comme dit Cioran, on n’habite pas un pays, on habite une langue, je suis avec mes frères algériens, les algériens parlent très bien le français et j’ai des frères français qui parlent très mal, je ne les comprends pas ! C’est tout le problème de la réflexion car effectivement on touche aux frontières où ça peut vite virer à un débat qui pue sauf qu’il faut se poser la question, et moi je me la pose parce que c’est un des outils de notre travail, il faut bien qu’à un moment donné j’utilise des mots pour dire des choses sur la musique donc forcément je me pose cette question constamment.

Luke
Luke / Photo : Frank Loriou

Oui bien sûr ! Et tu as déjà participé à des projets d’écriture dans des lycées ?

Non, mais je sais que des profs ont utilisé des textes de mes chansons mais on ne m’a jamais demandé d’intervenir mais cela m’interesserait beaucoup de montrer le processus d’écriture, de montrer l’importance de la langue.

Car je participe tous les ans aux Chroniques Lycéennes organisées par les Inrocks. En fait c’est une compilation d’artistes francophones tous genres confondus –punk, zouk, folk etc – et l’idée c’est de faire écrire les élèves, faire des chroniques, ça les fait à la fois beaucoup écrire comme tu dis, à la fois parler et ça leur fait découvrir des musiques. Car il y a là aussi un vrai problème, ce coté mainstream qui nous bouffe tous…

Alors ce qui est drôle ici c’est qu’en fait c’est Internet qui est encore plus mainstream, c’est ça qui est étonnant ! Internet nous est vendu comme la parade au ‘mainstream’ et en fait il l’est encore plus car c’est un autre milieu qui reproduit aussi ceux qui vont aller voir, aller chercher, qui vont fouiller et eux trouver une mine d’or extraordinaire et immédiate, en une journée tu peux écouter 40 % de la production de la musique africaine par exemple et en ayant besoin d’avoir des médiateurs, des gens qui ont le vrai sens de l’artiste assez profond qui n’est plus forcément que professionnel et d’un autre coté, quand on fait un My Major Company (d’ailleurs le nom est en anglais), et pour faire le lien, pour attirer le chaland finalement, c’est ce qu’il y a de plus variété et même au niveau qualité (et ce n’est pas un reproche) et là encore c’est en français, donc finalement c’est ce qu’il y a du plus mainstream qui marche… Nous on a fait un concours sur internet pour faire gagner la première partie de Luke au Bataclan (cétait le 26 mai dernier, ndlr) et en fait ceux qu’on a choisis, Phyltre sont les derniers car les dix premiers ce n’était pas bien parce-que ce n’était qu’en anglais mais du coup c’est un peu angoissant ce vote jugement, constant…

Mais toi donc tu n’écris jamais en anglais ?

Si ! On a écrit un morceau inédit qui s’appelle « Shadows » (disponible pour les possesseurs de l’album en Open Disc, ndlr) mais c’est pour la rime, un peu en hommage au poème de Verlaine, Nevermore… non si, c’est pour la rime cela ne me dérange pas, mais moi ce que j’aime c’est le métissage alors par exemple quand Gaetan Roussel fait un morceau en français et anglais (ndlr : Help myself, Nous ne faisons que passer), je trouve ça très bien ! Parce qu’effectivement on ne peut pas aller à l’encontre de ce que le métissage des cultures existe réellement mais en revanche on est en train de tous faire la même chose, on veut faire comme les anglais et les américains comme si on voulait appartenir au monde total, mes amis sont pour la pérennisation de leur dialecte et sans nationnalisme du tout ! Mais si encore c’était l’hégémonie de la langue espagnole ou portugaise, si c’était de la musique africaine qui gagnait, je serais content mais ce n’est pas ça… parce-que les américains savent qu’ils livrent une guerre alors que nous on ne sait pas, on voit ça comme si on était Oui Oui au pays de la musique. On se croit fort culturellement, nous, on a une culture littéraire sauf qu’en fait on ne lit pas. C’est ce que disait Gracq, « la littérature, elle n’existe pas » L’Ipad permet de stocker des livres quon ne lira pas comme posséder des giga de musique que l’on n’écoutera pas.

Donc il y a deux choses, il y a l’immédiateté de la possession et cette nouvelle réflexion dans le disque, et en même temps, le monde vient à toi, on ne va plus au monde et notamment à l’école. Par exemple dans mon passé j’ai toujours découvert le monde à travers quelqu’un, un médiateur, donc un parent, un instituteur… alors maintenant comment le professeur peut appréhender l’élève qui de toute façon a toute la journée le monde à lui ? Donc il arrive déjà avec un certain cynisme, une possession du monde et dans le regard que je porte au monde qui m’entoure et que j’essaie de recréer dans les paroles, je retrouve ce cynisme là et je trouve qu’on n’a plus cette vie intérieure, et cette modestie qu’a son monde et c’est ça qu’Internet peut provoquer même si c’est aussi quelque chose d’extraordinaire par ailleurs notamment pour se fédérer, pour les chercheurs, les universitaires, c’est un vivier de source de savoir et dans la pire des choses c’est une des parties de ce qu’on est en train de devenir d’où le robot « Ils m’ont fait un visage de verre, Mon âme est à découvert », c’est Bernanos : « On ne comprend absolument rien à la civilisation moderne si l’on n’admet pas tout d’abord qu’elle est une conspiration universelle contre toute espèce de vie intérieure. » (dans La France contre les robots), c’est exactement ce qu’il explique et ce que l’on est en train de devenir…

Oui et ça va très loin car je vois mes élèves par exemple, ils ont tout à porter de la main et ne vont plus rien chercher, et finalement aujourd’hui il y a de plus en plus de groupes qui chantent en anglais, Phoenix qui joue ce soir ou Cocoon par exemple mais vous, vous avez toujours chanté en français …

90 % du marché depuis ces dernières années est en anglais mais surtout ça marche en France et il n’y a que nous pour être assez con pour écouter des français qui chantent avec un accent anglais et qui font comme les autres parce qu’en fait avoir une activité artistique, c’est un mélange difficile entre la culture et la contre culture. On est à la fois contre culturel et moi je me pose constamment la question et je m’angoisse en me disant jusqu’à quel point je n’ai pas été bouffé par l’hégémonie mercantile, on m’a fait croire que c’était bien, c’est presque « Orwellien » de cette manière sauf que ce n’est pas un état unique qui dirige, ce sont des annonceurs qui dirigent, mais bon c’est à peut prêt la même chose, il y a des slogans et donc c’est Bretton Woods, les américains ont imposé leurs vues et leur 40 % des produits culturels en anglais comme ça ils ont imposé leur langue, de cela on pourrait en parler pendant très longtemps et il y a beaucoup de choses à dire, je pense que l’on est très naïf face à cela, face à cette « guerre ». Et le paradoxe bien sûr c’est que J’ai bouffé beaucoup de musique anglo-saxonne et j’adore en jouer !

Et tu as écouté beaucoup de chanteurs français à texte aussi ?

Pas tant que ça ! J’ai écouté ça après ! Mais par contre dans l’envie de faire quelque chose, j’ai eu l’envie d’être culturel et contre culturel, c’est-à-dire parler de nous, ne pas faire l’acteur, pas faire comme les autres, alors parler aussi de ce qu’il y a autour de nous, je n’ai pas su y arriver de suite et je ne sais pas si j’y arrive maintenant, mais je pense que la qualité artistique c’est profondément ça et si Neil Young, Dylan étaient là ou Cohen, et si on leur disait que des français, pour faire des chansons écrivent anglais, ils seraient horrifiés ! Parce que Dylan écrivait en anglais pas parce que c’était la mode mais parce qu’il a une profondeur culturelle folk populaire très ancrée et il est là pour raconter une histoire, c’est un storyteller, ce sont des gens qui ont été influencés profondément par Ezra Pound et lui-même influencé profondément par les troubadours du moyen-âge dans le Périgord, donc finalement, c’est nous qui sommes la source et on se retrouve des siècles plus tard et si on leur disait à ces troubadours que ceux d’aujourd’hui chantent en anglais, cela les ferait bondir !

Luke
Luke / Photo : Frank Loriou

Ce soir ce qui est amusant, vous jouez avec Eiffel que vous connaissez bien, eux aussi ont à peu près le même discours, ils chantent en français même s’ils chantent aussi en anglais…

Oui, mais attention c’est le fruit d’un métissage… je ne veux surtout pas paraître nationaliste et imposer ma vue !

Non, bien sûr mais comme tu parlais de Moyen âge, ils ont une chanson sur leur dernier album tirée de François Villon.

Oui, car Romain (Humeau, ndlr) est passionné de cela et Estelle est une vraie musicienne et esthète de la musique baroque, ils ont fait de vraies recherches dans cette direction… Par contre là cela me dépasse complétement car je ne suis pas assez bon musicien…

Mais quand tu joues dans des festivals comme ici à Musilac, tu joues avec une pluralité d’artistes qui n’ont pas du tout cette vision là et hier soir par exemple il y avait Mika qui est de la musique un peu pop-corn et vous, je ne dis pas que vous faites de la musique sérieuse car cela serait péjoratif de dire ça, cela serait horrible !

Non, voilà, ce qui est très dur en français, toi qui enseigne le français, c’est qu’il faut avoir une certaine apparence de simplicité, une fluidité dans la langue !

Oui comme les poètes, ça a l’air difficile à lire et puis finalement … Baudelaire, Rimbaud…

Oui sauf que Rimbaud nous a pourris ! Maintenant on ne sort pas de Rimbaud, la manière dont on voit les artistes maintenant , elle est rimbaldienne, constamment, c’est une figure tutélaire pesante, on est artiste que s’il on est rimbaldien… c’est comme si on avait oublié Valery, René Char, Camus, Bernanos, Rimbaud est connu car il s’est arrêté, Van Gogh parce qu’il s’est coupé l’oreille, Rimbaud a aussi inventé des slogans, « l’amour est à réinventer » dans une Saison en enfer et cela passe très bien mais en soi, cela correspond bien à notre époque mais en soi Rimbaud est le seul poète qui est le pur produit de l’école de la République, il obtenu tous les prix ! C’est dur pour ceux qui font du français et du rock, qui essayent de maîtriser tout cela, c’est dur de ne pas se laisser enfermer par les images et les stéréotypes, et en français c’est encore plus compliqué…

Pour revenir un peu à l’album D’autre Part, j’ai beaucoup aimé votre clip, les majorettes c’est un fantasme ?

En fait, j’avais vraiment envie de mêler la danse car c’est une chanson assez triste, peu l’ont entendu, c’est une chanson sur l’immigration, un migrant comme dit Romain Gary (ami de Druon et Kessel), c’est le chant du départ.

C’est quoi le « là bas » à la fin de la chanson ?

C’est une chanson d’exil, de départ, vers l’économie, vers le travail, avoir une vie qui existe, obligé de partir, et donc moi je ne suis pas là pour juger, je ne suis pas là pour raconter comment cela se passe par A + B, je suis juste là pour juste ouvrir une fenêtre à un moment donné dans une pièce et montrer l’action, voir ce départ, cette jeune femme qui lit la lettre de départ et en fait ce sont des sentiments, ils s’aiment profondément mais sont obligés de se quitter, il n’y a pas d’histoire ni de morale, c’est juste comme ça parce que la vie est comme ça ! Donc il ne fallait pas exposer l’histoire, j’ai reçu plein d’idées de clips trop démonstratives, et de ce fait on a essayé de faire une métaphore par la danse.

Oui mais les majorettes c’est quand même très typé ?!

Mais justement, moi je voulais une danse qui soit de chez nous et la remettre au goût du jour pour dire que non, ce n’est pas ringard et quelque part nous on est pareil ou pas mieux ou au moins pas moins ringard qu’eux ! Si eux sont ringards alors je veux bien l’être aussi, c’est un peu ‘déridien’, il y a une mise en abyme, tu regardes l’écran, et dans l’écran il y a un écran, et au final tout le monde se regarde.

Et c’est vous qui avez eu cette idée là ? Vous avez fait appel à quelqu’un ?

C’est un travail que j’ai fait avec un réalisateur que je connais bien, Régis Roinsard (qui a travaillé avec Anaïs, ndlr) que j’aime beaucoup, on voulait un truc assez simple…

Et sur l’ensemble de l’album c’est quand même assez … désabusé, cela ne respire pas la joie de vivre…quand on lit les titres des chansons « Fini de rire » « Monsieur tout le monde » «La complainte du gardien de prison », est-ce que c’est lié à ta vision de la société d’aujourd’hui ?

En fait je pense que celui dont le métier aujourd’hui est de faire de l’optimisme pour les gens fait un métier un peu ragoûtant dans l’époque à laquelle on vit, sauf que moi je n’écris pas ! Je fais des chansons, donc ces textes sont sur de la musique, je les chante ces textes et les chanter ça déçoit. Effectivement quand tu les lis… Mais on ne peut pas séparer les textes de la musique, moi je fais des textes sur de la musique et Victor Hugo disait que l’on ne fait pas de la musique sur des textes ! Moi je fais des textes que je mets en musique, c’est très important, c’est organique, effectivement c’est un peu triste mais si c’est chanté cela prend une autre dimension…

Oui, le riff de « Pense à moi » est prenant…

C’est dansant donc il y a de l’espoir !

Mais tu écris quand même des phrases marquantes quand tu dis « Je n’en dis rien à mon fils / Qui de la vertu ou du vice / Car je n’en sais plus rien au fond » dans La complainte du gardien de prison…

Oui mais c’est mon travail d’artiste, il faut relire Tchekhov, Tolstoï, il faut relire les russes ! Relire Chalamov… Comment peut-on écrire l’expérience des camps de concentration… C’est une réflexion qu’ont fait beaucoup d’auteurs français, Cayrol par exemple, il faut se poser la question de la tristesse… moi mon boulot est d’être plutôt un chanteur de gauche, c’est de se dire, je dois parler de tout le monde, donc ce gardien de prison possède un point de vue qui vous donne une leçon sur le jugement, et nous sommes des petits juges en puissance, et nous cliquons, nous jugeons constamment, et pourtant juger c’est très à part, et mieux vaut être votant que juge, lui il est là pour le dire, il doit vivre avec le pardon. C’est ce que demande Camus, comment fait-on pour être un citoyen athée ? si l’on veut vivre ensemble… Il faut bien avoir des valeurs, des principes, essayer de vivre avec le pire et lui vit avec le pire et s’en rend compte, il le dit à nous : « elle vient nous demander pardon » et il n’y a que lui pour le faire, et son point de vue m’intéresse car il permet de dire des choses que je ne peux pas dire moi car mon boulot ce n’est pas de juger !

Et côté imagerie, pochette, il y a un sens ? Il y a un arc-en-ciel…

Et bien faut pas chercher loin, en fait ce que j’aime bien c’est le léger qui porte du lourd. Et c’est profondément ce que doit faire la chanson, le rôle de la musique c’est du léger qui doit porter du lourd… j’aime les chansons qui parlent de choses dures mais en les chantant elles ne sont pas dures.

C’est très juste et ce que j’aime bien ce sont les photos montage, il ya quelque chose de magique, et dans la chanson Manhattan, le titre, le reflet …

Et Bien Manhattan c’est une chanson qui explique qu’on ne peut jamais découvrir Manhattan car par les films, le cinéma on connait tout cela déjà par cœur !

Vous avez eu un énorme succès (300 000 disques vendus) les gens vous ont un peu oubliés… et ce disque n’est-il pas une sorte de renaissance ? Le succès était dur à gérer ?

Peut-être… C’est toujours facile d’expliquer les raisons d’un échec, moins d’un succès. Ce qui était dur avec Les enfants de Saturne, c’est qu’on pensait faire un disque plus rock et il a été plus dur à digérer par rapport aux précédents. Et puis moi je ne sais pas gérer la carrière, je ne sais pas ce que c’est , très honnêtement, certains le font très bien… Faire de la musique c’est autre chose, je voulais rentrer dans la chanson donc je savais ce que j’avais à dire, j’avais le personnage en tête, je savais vers quels arrangements je voulais aller, et puis dans le bon sens du terme il faut faire une musique qui nous accompagne avec le temps. C’est comme un peintre qui ne doit pas toujours utiliser les mêmes couleurs, il faut peindre aussi avec autre chose, il faut faire d’autres découvertes, par la lecture, par l’écoute d’autres musiques, des révélations, avoir envie de montrer le monde d’une autre manière.

Et malgré l’Iphone (sourires), coté lecture, dernièrement qu’est-ce qui t’a marqué ?

Conrad « Au cœur des ténèbres », sinon il y a beaucoup de choses qui me bouleversent. Camus évidemment ! C’est un rêve! Il n’est pas beaucoup cité, je pense qu’il devrait être un exemple profond pour le monde et notamment pour les rockeurs, pour notre génération. Je ne comprends pas pourquoi on nous bassine avec Céline, alors que Camus a écrit des choses absolument incroyables. On peut ne pas être d’accord avec lui mais il devrait être un exemple, une référence en tant qu’homme. Sinon il y a des philosophes aussi, René Girard, qui est français, obligé d’aller aux Etats-Unis pour enseigner sa matière…

Mais j’ai été obligé afin de plonger dans ce disque d’arrêter de lire tout ce qui était essais, philosophie, je n’ai lu uniquement que des histoires, des romans, car je voulais faire comprendre le monde par le petit bout de l’expérience individuelle et je pense que pour beaucoup le jeu est un mensonge, et moi le jeu que j’ai utilisé sont des personnages qui ont permis à travers leur expérience de se mettre à leur place, je crois que l’écriture ce n’est pas parler de soi, ce n’est pas très intéressant c’est plutôt se mettre des deux cotés. Et ils sont transpercés par le rapport aux autres, et moi je me suis vraiment amusé en utilisant un clown un gardien de prison, et la musique m’a permis d’avoir une certaine forme … d’altruisme, c’est se mettre à la place d’eux !

Moi je pense que l’expérience, notamment dans Camus, a été très simple car les métaphores sont très simples dans la Peste, l’Etranger… il veut expliquer en quoi le monde change, bon la Chute c’est un petit peu plus compliqué mais les personnages sont révélateurs aussi d’une certaine société, moi mes personnages je ne les ai pas volontairement choisis un peu désillusionnés je pense en fait que la modernité telle qu’on nous la vend n’est pas un progrès mais une barbarie et en fait on est encore plus barbare qu’au siècle précédent, et je crois que le siècle qui débute, c’est assez pessimiste, va être profondément plus meurtrier que le siècle précédent, il n’y a aucune raison qu’il ne le soit pas, à partir du moment on l’on célèbre la Vie est Belle de Benigni, nous n’avons rien digéré, nous ne comprenons rien à rien et je pense que nous allons reproduire profondément un siècle meurtrier puisque nous voulons être athée, nous voulons être absolument sans valeur, et moi qui suis athée j’ai une profonde admiration pour les croyants que car ce sont des gens qui se mettent des limites et c’est pour ça que j’aime Camus qui disait « un homme ça s’interdit ». C’est ça que j’ai essayé de définir dans ce disque, dans ces paroles, de trouver d’autres modèles que le modèle d’une rébellion un peu bête, pour moi c’est une contestation de la mesure, je trouvais que l’on manquait de mesure dans l’écriture, il faut des personnages mesurés, on manque de mesure, de silence, de douceur, de beauté.

Oui on sent que tu as choisis chaque mot, que tes chansons sont finalement assez courtes en texte…comparées par exemple à Lou Reed, Morrison…

Oui car ce sont des chansons (sourires). Ceux que tu cites écrivent en anglais. En fait ce qui est délicat avec le français je trouve c’est que le français est une langue éminemment poétique en elle-même et aussi éminemment abstraite, tout le monde dit que c’est dur d’écrire un roman, ce n’est pas si vrai que ça. Il y a beaucoup de connards qui ont l’air d’être des poètes et qui ne le sont pas. Et moi-même, je l’ai été d’une certaine manière, je me suis remis en question, j’ai été dépassé par La tête en arrière, il y a des trucs réussis musicalement, il y a des textes que j’aime beaucoup comme le Reste du monde, et des textes que j’aime moins comme Hasta Siempre, que je ne renie pas, mais c’est comme ça, on réfléchit à ce que l’on a fait et là dans ce disque, ce n’est pas que j’ai voulu tout à fait maitriser le français, mais je n’ai pas voulu me laisser dépasser par le français, j’ai voulu le maitriser pour vraiment aller au bout de l’histoire et donc il y a toujours une morale, les personnages permettent de comprendre en quoi notre monde est en train de profondément changer et cette mosaïque de personnages à mon avis est assez révélatrice de ce que peut être le monde d’aujourd’hui.

Je sais que vous avez travaillé avec Jean Lamoot, pourquoi ce choix ?

Parce qu’il a travaillé avec tout ceux qu’on aime, Bashung, Noir Désir, Raphael, Il a un travail qui est toujours hors norme et on a beaucoup travaillé en amont pour maitriser les arrangements, et puis à un moment on a voulu lâcher la bride, brouiller toutes les pistes, on a voulu un nouveau disque, on avait tout maitrisé, on a dit et bien maintenant tu fais ton truc et quand on a réécouté, on a redécouvert le disque… Avec une voix, très proche de nous, sans fioritures…

Et justement il a fait un gros travail, donc sur scène, comment ça se passe ?

Du coup on a fait venir un cinquième musicien parce qu’on tenait vraiment à faire comprendre aux gens, tout ceux qui ont été surpris par ce disque que ce disque est vraiment énergique !

Oui je ne comprends pas car les médias ont dit que c’était un disque moins rock, ils se sont assagis !

Oui et là on pourrait discuter des stéréotypes en France car depuis qu’Arcade Fire est arrivé je pense qu’on a tous pris une claque et il y a des langages, il y a des mots mais aussi des langages musicaux et le problème c’est que les journalistes n’ont plus la culture des mots, on ne sait plus raconter la musique, donc on ne peut plus expliquer en quoi la musique est restée finalement mais dans un autre langage, avec une autre forme d’ouverture, d’autres couleurs… c’est dommage de ne plus arriver à expliquer ces subtilités là. Il faut expliquer aux gens et hier j’étais avec une fan qui aimait beaucoup le disque mais qui ne comprenait pas très bien ce changement, les tempo sont pourtant beaucoup plus rapides, je chante plus haut que sur la Tête en arrière, elle trouvait les arrangements un peu bizarres, et bien oui, car on ne connaissait pas ça dans les précédents disques…

Donc pour finir, si tu devais mettre en avant un groupe, des copains ou autres ?

Oui, oui, j’ai un pote qui s’appelle D.a.p, qui participe au CQFD des Inrocks, un des rares à chanter en français, qui a une inspiration Gainsbourienne, c’est assez touchant ! Il faut aller l’écouter et voter ! Sinon Chà une chanteuse que j’aime beaucoup !

Luke sera en concert entre autre ce samedi au festival Woodstower avec Olivia Ruiz, Jeanne Cherhal et Boogers, à Rennes le 25 septembre, au festival Chorus de Fontenay aux roses le 19 mars.

Date : 18 juillet 2010

Lyonnais qui revendique sa mauvaise foi car comme le dit Baudelaire, "Pour être juste, la critique doit être partiale, passionnée, politique...", Davantage Grincheux que Prof si j'étais un des sept nains, j'aime avant tout la sincérité dans n''importe quel genre musical...
1 réponse sur « Luke la voix chaude »

Une rencontre littéraire autour d’un groupe de rock : j’étais à 100 lieues de penser tomber sur une telle pépite un jour… Et dire que j’en entends dans ma petite maison qui fustigent tout en bloc, prétendant que « le rock c’est pas de la culture »… alors que je ne connaissais aucun des 3 écrivains linkés ici au terme de ma scolarité ! Merci Professeur Guimauve ;-)

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