Interview : Anne Malraux

Anne Malraux - © A.M
Anne Malraux est une artiste multi tache. Photographe, comédienne, chanteuse... Balayons, le who’s who mondain et anecdotique dès l’introduction : si son amour pour la musique est de famille, ça n’a pas grand chose à voir avec son illustre aïeul.


« J’ai grandi à Paris entre un père fou de musique classique, une grand-mère pianiste, et une mère moitié américaine, moitié brésilienne, tombée amoureuse de la France. Elle a rapporté de l’autre côté de l’océan des tas de disques passionnants, des Beatles à Simon & Garfunkel, en passant par Harry Belafonte,Maria Bethania,Antonios Carlos Jobim… À l’adolescence j’apprends par coeur des centaines de chansons et cela me permet en plus de pratiquer plusieurs langues… Et puis je découvre le théâtre, et je commence à jouer dans des spectacles un peu partout en France, puis dans pas mal de téléfilms. À la naissance de ma fille, j’étais dans une merveilleuse période d’introspection et de désirs nouveaux, et j’ai senti que c’était le moment ou jamais de me lancer dans la musique qui était mon vrai premier désir.»

Elle sort alors Saisons, son premier EP.

Anne Malraux

Tu es comédienne, tu fais de la photo, est ce que tes activités artistiques se nourrissent les unes les autres ?

Indéniablement. C’est encore plus vrai quand je chante en français. J’ai alors tendance à être plus extravertie. Je considère mes chansons comme des personnages qui en trois minutes nous racontent quelque chose. Et ça rejoint mon travail de comédienne. L’anglais m’amène plus vers la douceur, la délicatesse et la peine.
La photo est pour moi une expérience qui a beaucoup à voir avec la solitude, avec la manière dont le réel observé se mélange à nos émotions, dans un endroit un peu secret, un endroit solitaire. Comme j’utilise depuis des années le même appareil, entièrement manuel, il y a aussi l’excitation de l’attente quand je fais développer les photos. Un peu comme en studio quand on réunit tous les éléments et qu’on écoute si ça sonne. En ce sens, je ne pourrais pas travailler en numérique, dans l’instantanéité qui est la tyrannie absolue de notre époque. Classer, hiérarchiser, éliminer, jeter, tout ça dans le même temps que l’acte de photographier, c’est une folie pour moi. Ce sont des temps différents qui doivent se succéder et non être simultanés. La photographie me semble assez proche de la musique, en termes d’écho. La musique consiste à faire sortir à l’extérieur les voix intérieures, la chanson intérieure, qui n’attend qu’une chose, qu’on y prête l’oreille…

Depuis combien de temps fais-tu de la musique ?

Je fais de la musique depuis 4 ans et demi, dont deux passés à apprendre à jouer de la guitare suffisamment bien pour pouvoir composer mes chansons moi-même. J’avais fait du piano mais je n’avais jamais touché une guitare. D’ailleurs c’est moi qui joue sur The Dead Leaves, et je trouve ça pas mal du tout.

Combien de temps as-tu mis à concevoir ton E.P ?

En réalité j’ai composé beaucoup de chansons. J’ai sélectionné celles qui me paraissaient les plus abouties à ce moment là, en cherchant, contrairement à ce que beaucoup me conseillaient, à ouvrir un éventail diversifié, plutôt qu’à chercher la linéarité, et que toutes les chansons soient dans le même « style »

Pourquoi avoir choisi de faire un album « protéiforme » ? Même si on sent que tu as un certain penchant pour la chanson ou la folk.

J’ai avant tout cherché à faire ressortir les particularités de chaque chanson. Il se trouve qu’elles sont assez hétérogènes, mais si on écoute bien, Avec mon scoot et Merci sont de la même famille, un style direct, cash, assez rock. My dear friend et The Dead leaves aussi, dans un style plus folk. Reste Le K de Camille qui est un peu l’ovni de l’EP, tant dans la forme que dans le fond.

Justement, tu peux nous en dire un peu plus sur le K de Camille ?

Le K de Camille est directement inspiré du travail d’un comédien sur un spectacle qui s’appelait « Charles Gonzales devient Camille Claudel ». Ce que ce comédien arrivait à faire, cette incroyable force d’interprétation et cette liberté… Il est un homme à voix très grave, qui ne cherche pas du tout à se féminiser pour s’approcher de Camille Claudel, et il y parvient d’une manière tellement incroyable qu’on ne se pose plus du tout la question de son genre… C’est donc à la fois au travail de ce comédien et bien évidemment à Camille Claudel, qui fut enfermée 30 ans dans un asile et y mourut dans la plus grande solitude, que cette chanson est destinée. Et bien entendu à tou(te)s ceux/celles qui l’écouteront.

Ton E.P, l’as-tu enregistré en studio ?

J’ai eu une proposition enthousiaste de deux gars qui viennent plutôt de l’électro (Emmanuel Claude/Pro-zac trax) et qui avaient très envie de se frotter à des chansons qui au départ sont vraiment composées de manière acoustique.

Ton équipe venant plutôt de l’electro, les arrangements qui vont dans ce sens viennent de toi ou d’eux ?

Dans les 4 chansons pré-citées, je voulais avant tout que la structure des chansons et leurs lignes mélodiques soient respectées. Mais quand Manu m’a proposée d’ajouter de petites touches électro, j’ai été enthousiaste, parce que cela ajoutait de la brillance et de la profondeur à certains sons… Le K de Camille a véritablement été notre casse-tête. J’arrivais en studio avec une chanson très épurée, en mode voix / guitare delay… Il restait beaucoup d’éléments à trouver pour lui donner corps. J’avais déjà pas mal d’idées sur ce que je voulais, mais nous n’étions pas toujours d’accord. Alors nous avons fait valoir nos points de vue, et nous avons réussi, je crois, à nous écouter et à travailler main dans la main. Je suis particulièrement fière de cette chanson, je dirais que c’est celle sur laquelle je suis le mieux parvenue à retranscrire mon inspiration.

Vous travailliez comment ?

De manière assez classique. Il faut d’abord créer le matériel de la chanson, donc enregistrer les instruments, batterie, basse, guitares, puis la voix. En ce qui me concerne c’est presque toujours les voix, étant très adepte des harmonisations vocales, merci Simon & Garfunkel, et Crosby, Stills, Nash and Young… Puis une fois qu’on a tout enregistré, il y a tout le travail de mise en place de la chanson, et le début du travail sur les effets que l’on veut ajouter.
Donc en gros on se retrouvait le matin au studio, on écoutait ce qu’on avait fait la veille, ou alors on changeait de chanson, et on continuait le travail. Il est bon parfois de laisser reposer quelques jours un travail intensif. Après on n’a plus le recul nécessaire pour bien bosser. Tout cela demande une bonne entente, et de savoir définir les priorités, pour ne pas se noyer dans les détails, et faire avancer les chansons un peu toutes en même temps ! Pour Le K de Camille, nous nous sommes retrouvés à la fin des sessions d’enregistrement avec deux versions, la mienne et celle de Manu, et après réflexion j’ai choisi la version de Manu (qu’il avait fait dans son coin en cachette) parce que je trouvais qu’avec cette nappe électro qui n’explose jamais vraiment et qui maintient en tension tout au long de l’écoute, on est vraiment dans l’univers clos et répétitif de l’asile.

Dans quel état d’esprit as-tu enregistré cet E.P ?

Comme toujours on passe plus de temps en studio que ce que l’on avait prévu. Donc l’état d’esprit a pas mal varié d’un jour à l’autre. Ce qui était passionnant c’était de « diriger » mes partenaires afin de les amener à faire ce que j’entendais. Et cela passe par beaucoup de phases de négociations très enrichissantes, où chacun défend sa vision de la chanson, et où j’ai confronté mon désir à celui des autres. C’est fondamental je crois de rencontrer l’écho de son travail et donc de le recréer une deuxième fois, de manière enrichie.

Quelle musique écoutais tu au moment de l’enregistrement ?

Beaucoup la mienne sur le chemin du retour, et en allant au studio, beaucoup Fink, Ariane Moffat, Richard Hawley, Eric Bibb notamment son génial live pour FIP, et la radio, Nova ou Fip

Comme beaucoup de jeunes artistes, tu as fais tes armes dans le métro.

Quand j’ai commencé à avoir quelques chansons sous le bras, je me suis inscrite au concoure RATP et ils m’ont recrutée et « badgée ». Je suis allée dans les couloirs du métro (station Opéra, direction la Courneuve, très bon spot acoustique) et je me posais là deux heures par jour a capella avec ma guitare. Du coup plutôt que de ne chanter que des compos que personne ne connaissaient, je faisais aussi des reprises qui marchaient très bien. Je jouais « No woman no cry », « Knocking on heaven’s door », « Mercedes Benz » et « Talkin’ about the revolution »

On entend souvent que c’est une bonne école, tu es d’accord avec ça ?

C’est une excellente école. Mais gare aux moustiques il y en a plein et je me suis fait piquer plus d’une fois ! Dans l’ensemble c’est vrai qu’on a souvent d’abord été voyageur avant de s’y produire comme musicien, donc on sait que ça peut être pénible… Ensuite, le deal est simple, les gens, a priori, n’écoutent pas. Donc quand il y a un retour, que les gens s’arrêtent ou ralentissent, cela signifie que quelque chose passe, et c’est toujours intéressant d’essayer d’analyser pourquoi. J’ai eu plusieurs fois Vincent Delerm qui m’a laissée une petite pièce et a ralenti le pas ! Une autre fois trois touristes qui sont restés 45 minutes et m’ont donné 50 euros. Je ne faisais pas ça pour l’argent en premier lieu, mais vu la difficulté de l’exercice, c’est une petite compensation et un signe que ce qu’on fait n’est pas trop mal perçu.

Quels sont tes projets à venir ?

Je viens de tourner un joli personnage pour la saison 3 de Profilage, une super série française. J’ai également une de mes chansons, sans doute « My dear friend », qui figurera au générique du film d’un ami. Je m’occupe de lancer mon site internet qui va permettre de diffuser numériquement au maximum l’EP et de communiquer sur mon actualité. L’EP est comme une carte de visite pour la plupart des gens qui ne me connaissent pas et il dit « à tout à l’heure ». Alors je voudrais enregistrer mon premier album, pour lequel je recherche encore du financement, entièrement en anglais. Il y a une grosse demande de ce côté-là de la part de mes fans !

En attendant l’arrivée de l’album promis, rendez vous est pris sur le site d’Anne Malraux pour patienter avec l’EP.

Discophage et habituée des salles parisiennes, Queen Mafalda donne son avis, surtout si on ne le lui demande pas.

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