[9/15 – Talitres is 15] Le prince Édouard

Chez Talitres, il y a le patron, le fondateur Sean Bouchard. Et il y le jeune Édouard Massonnat qui est chargé de développement. Chargé de développement ? Mais de quoi sont faites les journées d'un beau gascon chargé de développement d'un label indépendant français ? Nous avons donc posé quelques questions au bras droit de Bouchard. Non, cet article n'est pas sponsorisé par l'O.N.I.S.E.P. et n'a pas été rédigé avec l'aide du C.I.O. de l'académie de Bordeaux.

Tu as quel âge ? 25 ans ? Pourquoi as-tu choisi d’évoluer dans un secteur totalement en crise ?

Édouard Massonnat : En fait, je suis un peu plus vieux : j’ai 29 ans. Content de savoir que je ne les fais pas ! Concernant le secteur d’activité qui sombre, il est vrai que ce n’est pas l’idée la plus brillante quand on approche de la trentaine et que l’on aspire à plus de stabilité, mais c’est un milieu qui me passionne et dans lequel j’ai toujours rêvé d’évoluer, particulièrement dans la sphère indé, réellement innovante et touche-à-tout. J’adore mon boulot et j’arrive à en vivre pour l’instant, je pense donc avoir fait le bon choix. L’avenir nous le dira !

Cela veut dire quoi « chargé de développement » au sein d’un label ?

Édouard Massonnat : C’est une abréviation, car “chargé de communication, de promotion web, relations radios & presse locales, développement à l’export, manutentionnaire occasionnel et graphiste” ne rentrait pas sur une carte de visite. Plus sérieusement, c’est un terme un peu global et neutre car faisant partie d’une petite équipe de 3 personnes, je suis amené à me diversifier souvent et à accomplir des tâches recouvrant pas mal de domaines différents (et souvent en même temps). Disons que la base de mon travail est de travailler les réseaux sociaux, la promo web, les radios régionales et locales, surtout en ce qui concerne les nouvelles sorties. Je donne des coups de main en fonction des besoins ensuite.

Comment as-tu rejoint Talitres ? Comment as-tu connu ce label ?

Édouard Massonnat : J’ai rejoint le label par hasard puis qu’après mes études de graphisme, j’ai voulu continuer pour avoir plus de cordes à mon arc. J’ai donc rejoint l’ICART, école formant aux métiers de la culture et au commerce de l’art. Il se trouve que Sean Bouchard, directeur artistique et fondateur de Talitres, dispensait là-bas des cours d’introduction à l’industrie musicale. Inutile de dire que j’étais plus qu’intéressé. Je ne connaissais pas encore bien le style de musique qu’il proposait à travers ses sorties, mais j’avais très envie de voir ce milieu de plus près. J’ai donc postulé pour un stage qui s’est plutôt bien passé, puis j’ai été embauché à mi-temps à la fin de mon contrat. Je travaille désormais à plein temps pour Talitres.

« J’étais plutôt féru de Hip-Hop et de black music et l’entrée dans l’univers musical de Talitres fut un grand changement »

Quels disques t’ont donné envie d’évoluer dans ce milieu ?

Édouard Massonnat : Je n’ai pas eu de gros déclic qui m’ont poussé à vouloir bosser pour un label connoté Indie rock, en fait. J’étais plutôt féru de Hip-Hop et de black music et l’entrée dans l’univers musical de Talitres fut un grand changement. La première nécessité était de connaître le catalogue du label pour savoir de quoi je parlais, ce que j’étais censé défendre ; j’ai donc réécouté une bonne partie de la discographie tout en allant écouter tous les groupes qu’ils citaient en référence (et ceux auxquels on les apparentait dans les chroniques et dossiers de presse), et j’ai fini par avoir quelques gros coups de cœur.

Le véritable déclic s’est fait en écoutant l’album Calendar de Motorama, qui est sorti peu après mon arrivée. L’excellence des morceaux, leur simplicité, l’émotion poignante qu’ils dégageaient… À partir de ce moment-là, je n’ai plus jamais décroché de la pop moderne.

Motorama – Calendar

Comment abordes-tu les disques de Talitres ? As-tu appris à laisser tes goûts, tes émotions de côté ?

Édouard Massonnat : C’est assez compliqué d’être objectif sur un disque que tu vas écouter des dizaines, des centaines de fois pour en saisir les nuances, pour pouvoir en parler et l’appréhender correctement. J’ai mes préférences dans le catalogue, et certains disques avec lesquels j’accroche moins, mais même ceux-ci présentent toujours un intérêt ; j’essaie de comprendre la démarche qui a fait qu’ils ont été signés sur le label et les qualités intrinsèques du disque pour moi, puis je pousse dans cette direction. J’écoute aussi les retours, même négatifs, pour comprendre comment les autres l’appréhendent et quels sont les reproches et les défauts dont je n’ai pas pris conscience.

Quelle erreur ne referas-tu jamais ?

Édouard Massonnat : Ma plus grosse erreur a été, je le pense, de prendre trop à cœur le travail de promo et d’être frustré des non-réponses. Je discutais avec un journaliste local (coucou Sébastien) qui bossait pour un gros papier que j’essayais d’accrocher pour un concert bordelais. Nous avions commencé à échanger des mails et il avait l’air assez partant pour publier quelque chose mais a arrêté de répondre du tout au tout, ce que j’ai un peu mal pris. Je lui ai donc envoyé une petite relance assez froide tout en pensant qu’il ne la lirait pas (comme le reste de la correspondance), et j’ai reçu un appel de sa part. Et je me suis senti un peu con. Même si tu bosses de longues heures sur quelque chose, il faut savoir faire la part des choses et prendre du recul, sinon tu deviens fou ou aigri (ou les deux).

Tu as rejoint Sean il y a quelques années. Quel disque aurais-tu aimé accompagner alors que Sean était seul ? Pourquoi ?

Édouard Massonnat : Il y a plusieurs disques que je regrette de ne pas avoir accompagné, mais celui que j’aurais vraiment aimé travailler est l’opus Sad Songs For Dirty Lovers de The National. En plus d’être un groupe mythique et l’une des toutes meilleures sorties du label, cela aurait été une grande fierté d’aider à pousser The National vers la lumière alors qu’ils n’étaient pas connu, de pouvoir leur parler et les rencontrer. De faire partie de leur histoire, en quelque sorte.

The National - Sad Songs for Dirty Lovers

Motoroma est peut-être la sortie la plus importante de l’année pour Talitres. Tu dors bien la nuit ?

Édouard Massonnat : “Dormir” ? C’est amusant, ça. En ce moment, on n’a pas trop le temps de se reposer. Nous préparons l’anniversaire du label avec quatre soirées de concerts sur Paris et Bordeaux, une compilation vinyle en édition limitée et toute la tonne de promo qui va avec. En ajoutant à cela trois tournées simultanées, deux autres sorties proches, les envois de commandes et le reste des tâches quotidiennes, ça donne des journées longues et des nuits assez courtes.

Par contre, même si nous sommes particulièrement vigilants sur la sortie de Motorama qui est devenu le groupe “tête d’affiche” du label, nous travaillons cette sortie comme toutes les autres, ou plutôt l’inverse. Nous poussons chacun de nos disques avec acharnement et passion quel que soit le groupe. Il n’y a pas de pression supplémentaire, du coup : on en a toujours beaucoup.

Idaho – Mystery

Ta chanson préférée du catalogue de Talitres ?

Édouard Massonnat : C’est compliqué de n’en sélectionner qu’une seule, mais je dirai que celles qui se détachent du lot pour moi sont Two Stones et I See You de Motorama, le très fin morceau Cardinal Song de The National, On The Water de The Walkmen et The Mystery d’Idaho. Le single Shen Anateb du duo géorgien Eko & Vinda Folio, qui sortira très bientôt, est aussi époustouflant de beauté et reste en tête assez longtemps (depuis mai dernier).

Motorama – I See You

Peux-tu me parler de Laish, votre future sortie ?

Édouard Massonnat : Laish est un songwriter originaire de Brighton et passé par l’excellent collectif folk Wilkommen (The Leisure Society, Rozi Plain – également signée chez Talitres un moment -, Sons of Noel…). Nous sortons son troisième album Pendulum Swing le vendredi 4 Novembre, soit dans quelques jours à peine. C’est un disque qui me plaît beaucoup car même si Laish est anglais, ses titres sont plus proches du songwriting américain – que j’aime beaucoup – à mon sens. L’album contient 12 titres aux orchestrations ambitieuses (on y trouve du piano, de la basse, du violon et surtout des chœurs) dont la finesse des arrangements (et de nombreux petits détails) s’appréhendent dans la durée, au fil des écoutes. J’aime beaucoup ce disque.

Laish – Love on the Conditional

En bon fan de Motorama, Édouard Massonnnat sera présent à tous les concerts des Russes.

Pouet? Tsoin. Évidemment.

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