[EXCLU] Capitaine Morvan

© Julien Bourgeois
SK* vous propose de découvrir en exclusivité Summer Flowers, un titre du prochain album de Marc Morvan. Et au delà de cette avant première, SK* vous propose de rencontrer un bel écrivain et d'écouter, dans quelques jours, un très grand disque. Marc Morvan parvient à redonner des lettres de noblesse au temps long.

Le dernier disque de Marc Morvan, The Offshore Pirate, nous fait prendre le large et nous emmène dans des tourbillons mélodiques d’une élégance rare. Après Stuart Staples et ses Tindersticks, la Creuse et son climat rude engendrent de nouveau un grand disque. En effet, The Offshore Pirate a été enregistré à quelques encablures de Guéret et possède quelques points communs avec les chansons du Baryton de Nottingham avec cette profondeur de champ insensée et ce refus de l’immédiateté. Oui, car The Offshore Pirate n’a de cesse de se bonifier au fil des écoutes.

L’île au trésor

Quand as-tu écris les chansons de The Offshore Pirate ?

Marc Morvan : Un titre Rest Home a déjà 6 ans. On le joue avec Ben depuis l’époque où nous défendions encore Udolpho sur scène. Battlefield et Venerable Trees datent de 2011, mais n’ont pas été enregistrés alors, car une commande – un projet de chansons autour du drame shakespearien Hamlet – a interrompu l’écriture de nouveaux titres. Ce projet a pris du temps. Il a fallu compter avec de longues périodes d’inertie dues à la vie de chacun : un disque solo pour Ben, une tournée avec le groupe Mermonte, une formation en musiques à l’image de mon côté et des boulots réjouissants comme opérateur téléphonique, acteur de complément ou équipier serveur dans un des nombreux pièges à touristes des grands boulevards. En 2014 Ugo, un ami devenu manager, nous a aidés à débloquer les choses, puis deux nouveaux musiciens ont rejoint le groupe. Ophelia a vu le jour, tandis que la composition de The Offshore Pirate s’est accélérée. Les 7 autres titres du disque ont donc été écrits entre janvier 2014 et novembre 2015.

Marc Morvan – Heart Of Stone

Comment s’est déroulé l’enregistrement ? Cela a pris du temps ?

Marc Morvan : Nico Brusq, le batteur du groupe mais aussi ingénieur du son et réalisateur de disques (il a fait l’album de Granville notamment) nous a proposé d’enregistrer dans sa maison isolée, dans la Creuse. J’y suis allé avec lui « en reconnaissance » au mois de février, avant la venue de Ben puis d’Hélène pour l’enregistrement des cordes. Quand nous sommes arrivés, il neigeait, et la maison n’était pas chauffée. Aussi les premières nuits, se tourner dans le lit pour changer de place n’était pas sans risque. Par égard pour les autres, j’ai pris une douche à la fin de la première semaine et je me souviens que de la fumée s’échappait de mon corps. Au bout de quinze jours à ce rythme, on a laissé reposer, puis repris en juin dans un studio près de Caen pour 3 jours, dans une toute autre ambiance. C’est d’ailleurs là qu’on a eu nos meilleures idées. Enfin, je suis revenu dans la Creuse avec Nico pour terminer l’enregistrement et le mixage pendant 10 jours, en novembre 2015. Il nous aura donc fallu 4 semaines en tout, pour tout faire.

Tout va sauter

Quel est ton meilleur souvenir lié à l’enregistrement ?

Marc Morvan : Le meilleur est peut-être intéressant mais moins universel que le pire. Tout le monde se souvient j’imagine de ce qu’il faisait le 11 septembre 2001. Personnellement, je sortais de chez le disquaire après avoir acheté Tout va sauter d’Elli et Jacno, quand j’ai appris ce qui venait de se passer à New York.

Ce 13 novembre donc, un peu isolés, on avait repris l’enregistrement depuis 3 jours et on avançait vraiment bien quand un technicien s’est présenté pour installer internet dans la maison de Nico, jusque là assez sélective en matière de progrès. Il faisait anormalement beau pour la saison, j’avais prévu de passer la soirée du vendredi à lire un « Philemon », trouvé dans la bibliothèque de la maison, allongé dans des coussins, parmi les feuilles de chênes que l’automne apportait quand on ouvrait la fenêtre blablabla. Vers 22 heures, plus pour profiter de ce nouveau luxe que par ennui (car l’habitude d’internet se perd assez vite finalement) je suis allé consulter le résultat du match France Allemagne sur le site de l’Équipe (je peux être spectateur du sport de temps en temps, c’est un de mes nombreux défauts). En voyant apparaître le président de la République en une du quotidien sportif, j’ai compris qu’il s’était passé quelque chose de grave. C’est à cette heure que ma compagne devait traverser Paris pour retrouver notre fille de 11 mois gardée par mes beaux parents mais susceptibles d’aller rendre visite à des amis vers Voltaire.

Vite rassuré par mes proches, le soulagement égoïste a laissé place à autre chose. Le Bataclan, j’y avais vu Shellac, les Tindersticks ou Dominique A. Je visualise bien. Ce n’est plus le froid de l’extérieur qui m’a empêché de trouver le sommeil ensuite. Tout ce qui a été enregistré et pensé après cela en porte un peu les traces : le titre Garden of Eden prévu très luxuriant avec cordes et cuivres s’est retrouvé quasi nu, à peine habillé d’un thème que je jouais souvent à ma fille, à la flûte, quasi médiéval. Les paroles d’Heart of Stone ont pris un sens tragique qui m’avait échappé jusque là : On a blood flow river I don’t sail alone / Whatever you dream of you never let me go.

Il y a des chansons qui n’ont pas été retenues et qui sont absentes de ton album ?

Marc Morvan : Oui, il y en a au moins une, en français, qui s’appelait Animaux des Miroirs. Je l’ai même chantée sur scène. Il y a aussi pas mal de brouillons que j’avais exhumé de périodes plus anciennes, mais que je n’ai finalement pas souhaité développer quand les nouvelles idées de chansons se sont accumulées, assez soudainement d’ailleurs.

Marc Morvan - The Offshore Pirate
© Pascal Blua

3 Guys Never In, Marc Morvan & Ben Jarry… C’est la première fois que tu publies un disque « solo ». C’est volontaire ou un concours de circonstances ?

Marc Morvan : C’est la conséquence directe « du choc de simplification « (blague). Je n’ai jamais été très doué pour les noms de groupes. C’est quelque chose qui me dépasse. A l’heure actuelle, Ben est toujours présent, mais on est 4 dans le groupe. Il a fallu clarifier les choses considérant que de nos jours, les gens ont à peu près 5 secondes pour identifier une info et ont du mal avec ce genre de subtilités voire avec la subtilité tout court.

Quelle est l’histoire de Summer Flowers ?

Marc Morvan : C’est bien vu de poser cette question car cette chanson est une énigme, une sorte d’esquisse de nouvelle qui emprunte ses codes au polar. J’en ai lu pas mal à cette époque dont Les vrais durs ne dansent pas de Norman Mailer. Voilà pour la forme. Pour le fond, c’est une chanson qui prétend que la pulsion de vie, le sentiment amoureux peuvent resurgir de manière inattendue, alors qu’on est persuadé que le meilleur est derrière soi, qu’avec l’acceptation des responsabilités de l’âge adulte, on ne pourra plus revivre autrement qu’en rêve cette exaltation, ou par procuration, grâce à un très bon film ou un bon vieux roman… Des paroles pleines d’espérance, n’est-ce pas ! C’est une chanson romantique puisque deux êtres inadaptés au monde actuel « aux tours de passe-passe de la City » se rencontrent dans un jardin japonais – les cerisiers fleurissant au printemps symbolisant donc la jeunesse. C’est assez poétique car d’une manière générale, je n’ai aucun premier degré dans les chansons. Le narrateur enquête sur un crime dont il redoute d’être le coupable. Il l’est.

The Offshore Pirate

Quel sens doit t-on donner au titre The Offshore Pirate ? C’est un album très marin ? Un naufrage qui n’en est pas un ?

Marc Morvan : Je me souviens avoir pris un train pour Venise et avoir rencontré un homme du continent africain qui m’expliquait qu’il méprisait l’attrait des occidentaux pour les vestiges du passé. Je comprends ce qu’il a voulu dire et j’ai souvent entendu ce discours chez des amis libertaires punks ou situationnistes, mais je me suis interrogé par la suite sur ce besoin que j’avais de me rassurer en contemplant ce que l’humanité était capable de créer. Je me suis dit que pour moi, l’envie de transmettre prédominait et que je ne pourrais pas me passer d’écouter Mozart. Vivre dans un monde sans œuvres d’art, fussent-elles commanditées par les puissants, reviendrait à me priver d’une part de mon humanité. Pourtant, j’ai le sentiment que la culture n’intéresse plus autant les gens « à qui on ne la fait pas », et que c’est plutôt dangereux.

Ce disque a une face plus politique que ce que j’ai fait jusque là, car il me semble que nous vivons une époque charnière. Si nous refusons d’agir, nous allons laisser ceux qui dirigent le monde nous rendre de plus en plus vulnérables. « It’s the end of the world as we know it » comme ils disaient… A notre échelle, je me dis qu’il faut repenser notre fonctionnement de façon moins individuelle, peut-être plus locale et un peu moins enfermée dans le confort de nos réseaux. Intégrer des projets collectifs et citoyens est un excellent moyen de se prémunir contre la précarisation qui n’est pas que matérielle. « Le pirate de la côte », c’est un titre empreint d’autodérision car je ne suis pas franchement un aventurier, mais j’aime assez les films et livres d’aventure, tout ce qui ouvre l’imagination. Le poulpe est un animal intelligent. Le monstre engendré par l’homme et que son créateur ne peut plus contrôler est un symbole évocateur pour le contenu de ce disque qui malgré une paix apparente est quand même très tourmenté. Tu peux bien sûr y voir aussi un écho à l’actualité, car des naufrages, il y en a malheureusement tous les jours en ce moment.

It came from beneath the sea

Où as-tu trouvé l’illustration que tu as utilisée pour la pochette ?

Marc Morvan - The Offshore Pirate
Marc Morvan : C’est une capture d’écran d’un film de SF de 1955, It came from beneath the sea. Je l’ai trouvée bêtement en faisant une recherche Google quand on collectait des idées avec Pascal pour la pochette. D’ailleurs, sa réalisation n’a pas été facile. Elle est le fruit de longs échanges avec Pascal Blua qui a fait preuve d’une infinie patience et de beaucoup de psychologie à mon égard !

Le flibustier Beauvallet

JD Beauvallet, un des piliers des Inrocks, a aimé ton album. Les critiques sont importantes pour toi ? Tu les lis ? Qu’aimerais-tu qu’on dise à propos de ce disque ?

Marc Morvan : JD Beauvallet a été le premier à nous repérer fin 2002 avec 3 Guys Never In. Il avait dû œuvrer dans l’ombre pour le faire écouter car on avait eu droit à un mot gentil de Simon Raymonde des Cocteau Twins qui lançait le label Bella Union : il était prêt à nous aider si on changeait de nom. Par la suite, on avait ouvert pour quelques dates avec Elysian Fields et M83 entre autres. C’est un grand souvenir ! Il a assisté à la maturation de mes chansons de façon distante, mais en autorisant toujours qu’on en parle dans son journal. C’est super s’il a aimé le disque, car JD Beauvallet, pour moi ça n’est pas rien ! Sinon, oui je lis les critiques, par curiosité et aussi parce que ça m’amuse (ce qui n’a pas toujours été le cas)… De toute façon, ça ne change pas la perception que j’ai de mon « travail ». Concernant ce nouvel album, j’ai le sentiment d’avoir fait de mon mieux dans l’écriture et la composition des chansons. J’ai aussi l’impression que ce disque a des qualités qui ont toujours fait défaut à ce que j’ai fait et des défauts dont je me privais jusqu’ici des qualités : le disque est très brut, très peu retouché. On y a laissé tout ce qu’on enlève d’habitude pour faire plus présentable et Nico Brusq a bataillé pour cela. Ce n’est donc pas toujours mon avis qui l’a emporté et le résultat a déjà surpris quelques personnes.

As-tu prévu de défendre cet album sur scène ?

Marc Morvan : Ce serait bien triste de ne pas pouvoir faire vivre ces chansons sur scène, car jamais encore avant ce disque, je n’avais écrit avec une telle volonté de parler aux gens, de partager mon incompréhension du monde de façon aussi directe et bienveillante. Sur scène, les cordes ont une place essentielle : elles sont là pour donner vie à des mélodies dont il me semble qu’il se dégage une réelle sensibilité qu’on ne retrouve pas chez tout le monde, et que grâce à Ben, qui depuis son album solo, a encore gagné en profondeur et en intelligence, il y a de la place pour l’accident. Enfin, il y a un peu plus d’électricité dans ce qu’on a prévu de faire, ce qui est nouveau par rapport à Udolpho. Malheureusement, nous n’avons pas de tourneur. Alors j’espère que certains journaux aimeront bien le disque et qu’il y aura des programmateurs plus aventureux que gestionnaires pour nous donner notre chance. Je sais qu’il y en a.

The Offshore Pirate de Marc Morvan sera publié le 2 décembre 2016 via Les Disques de l’Artisan/Microcultures.

Marc Morvan - The Offshore Pirate

Tracklist : Marc Morvan - Titre album
  1. Battlefield
  2. Heart Of Stone
  3. Broken Girl
  4. Summer Flowers
  5. Garden Of Eden
  6. Rest Home
  7. Judgement Night
  8. At The Heart of The Mountain
  9. Interlude
  10. Venerable Trees

La photographie de Marc Morvan est signée Julien Bourgeois. La pochette et les visuels sont signés Pascal Blua.

Pouet? Tsoin. Évidemment.

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