For Your Ears Only : Frank Rabeyrolles

Frank Rabeyrolles s'apprête à publier l'un des plus beaux disques de cet hiver. Petite boîte de Pandore, Only For Your Eyes est un album dense et riche qui a le mérite de rendre les longues soirées d'hiver agréables. Ce disque est aussi la porte d'entrée idéale pour découvrir la riche discographie de ce garçon, aussi discret qu'efficace.

Comment te sens-tu quelques jours avant la sortie de ce disque ?

Frank Rabeyrolles : A vrai dire, à partir du moment où je finis un disque, je rentre dans un drôle de « trip » entre ennui, excitation, « baby blues ». je n’arrive plus à me projeter dans rien donc j’ai hâte que le disque sorte pour me remettre au travail recommencer à composer, enregistrer. On a toujours peur de ne pas rencontrer un public. Je suis assez discret du côté du « live » donc mes disques sont ma façon de créer du lien avec mon public. Du coup la sortie d’un disque est pour moi très importante un moment difficile mais libératoire.

Frank Rabeyrolles – To Keep Insie

Tu as enregistré déjà quelques albums. Comment situes-tu ce disque dans ta discographie ?

En effet, beaucoup d’albums sous différents noms : Double u (ça c’était au début vers 2004), puis Franklin aussi qui était au départ un projet plus électro, assumé et léger. Enfin sous mon vrai nom, c’est mon quatrième album. Ça paraît énorme surtout par rapport à ma notoriété qui est elle très modeste. J’ai souvent l’impression d’être un éternel « beginner » ou un « outsider », j’arrive à en sourire aujourd’hui. Mais en même temps quand tu regardes les discographies de Lou Reed, de groupes légendaires des sixties, ils produisaient au moins un album par an pour certains. Personne ne parlait de surproduction. Je ne cherche évidemment pas à me comparer à ces stars mais j’aime écrire, enregistrer sortir des disques.

Pour revenir à For your eyes only pour ceux qui suivent un peu je pense qu’il est un peu plus intimiste que Apart, plus mélancolique aussi. Des thèmes comme le sentiment de l’étrangeté, de la solitude voire de l’isolement sont peut être plus clairement évoqués. D’un point de vue de la couleur du son, je ne sais pas quelle est sa différence. Fondamentalement j’essaie de m’affranchir, de composer le plus librement possible j’arrête d’écouter de la musique parfois pendant des mois. Je sais que beaucoup d’artistes, de groupes sont avant tout des « fans de musique » dans la fascination de certains artistes et de près ou de loin, leur musique leur rend plus ou moins hommage. Les gens qui les écoutent se reconnaissent en eux et retrouvent rétrospectivement des réminiscences de groupes qu’ils aiment. Leur musique fonctionne même un peu comme un fantasme pour certains journalistes. La rencontre s’établit à un niveau presque symbolique. Personnellement je ne me reconnais pas dans cette école. Je « jardine « ma musique de mon côté je crois que cela fait sa singularité mais aussi sa difficulté à fédérer. Je le vois bien aujourd’hui à l’heure des statistiques, des views, des tops, des moods que ma musique peine à trouver un écho et en même temps il y a quelque chose en moi qui me murmure de continuer. Donc je suis là.

La pochette de ce disque est très classe. Quelle est son histoire ?

Au départ c’est une photo postée sur Insta par un pote qui fait de la photo, Fabien Dendievel. j’ai tout de suite pensé qu’elle pourrait coller avec mes obsessions. L’eau, le bleu, les strates que l’on peut deviner au fond de l’eau qui font écho à ma passion pour les textures, les couches de son. Elle s’est imposée comme une évidence.

For Your Eyes Only un vrai disque d’hiver. C’était volontaire de le sortir en plein mois de décembre ou c’est un heureux hasard ?

En fait j’ai sorti Apart au mois d’avril c’était un disque peut être plus printanier (la pochette est ocre et noir, c’est vrai que le code couleur est plus chaud). For your eyes only est plus froid et introspectif en effet un morceau comme Colder than tears est un morceau à la fois pop et un peu sibérien aussi presque new wave. Le morceau instrumental qui le clôture, kaos est une pièce assez planante mais assez torturée aussi. je l’avais composée après un voyage dans les montagnes slovaques . Finalement, même si c’est un hasard c’est plutôt bien tombé tout ça.

Il a été facile à enregistrer ?

J’enregistre tout seul chez moi donc c’est toujours à la fois facile car il y a ce côté complètement intuitif spontané. D’un autre côté, c’est dur car j’ai des limites techniques, on est dans un contexte « Home studio » En plus, je ne me définirais pas comme un producteur je suis à la fois autodidacte et iconoclaste au niveau de mes prises de son. Cela fait des années que je n’ai pas mis les pieds dans un studio. Je joue en général tous les instruments, je mixe je fais tout sauf le mastering. Je crois que je vais finir par y retourner d’ailleurs en studio car le « bedroom work » a ses limites au bout d’un certain nombre d’expériences. On finit toujours par « s’auto étouffer » non ?

Quel est ton meilleur souvenir de cet enregistrement ?

En fait j’ai enregistré les morceaux au fur et à mesure de leur création pour moi l’étape de l’enregistrement est décisive au niveau de l’esthétique finale. Cela fait 2 ans que j’utilise beaucoup de synthés, d’outils électroniques mais au fond je crois que mes morceaux pourraient s’accommoder d’une option plus minimale guitare chant par exemple. J’ai envie de revenir vers ça depuis un moment en même temps je ne me définis pas non plus comme un chanteur. Comme tu le vois, je me pose pas mal de questions. Je n’arrive pas vraiment à me rappeler d’un souvenir précis. Quand j’ai fini le mix je me suis senti vraiment soulagé.

Quelle est l’histoire d’Isolation ?

S’isoler pour se protéger c’est assez classique et c’est en même temps voué à l’échec. On passe tous par des étapes comme ça où on ne trouve plus la force de faire face et en même temps on est convaincu que c’est le mauvais choix. Le titre est assez métaphorique, je crois que les morceaux parlent beaucoup de la division dans l’être, cette part sombre et en même temps le désir de vivre. Le mot fera sursauter les thérapeutes mais je crois vraiment à cette part de schizophrénie et de fracture individuelle voire collective. Ma musique et mes mots évoquent souvent cela. Les gens ont parfois par exemple l’impression que tout roule pour vous que c’est la grosse « Win « et vous, vous les regardez et vous savez qu’au fond de vous c’est parfois un gros bordel. Voilà un peu de quoi parle l’Isolation des mondes parallèles.

Tu vas le défendre sur scène ?

Oui je vais essayer de faire des concerts. Je joue seul ces derniers temps du coup c’est pas toujours facile de trouver la bonne formule. J’hésite souvent entre aller vers le songwriting pur ou les choses plus expérimentales et instrumentales que je fais aussi. Mais à partir de janvier et de février j’espère être plus visible sur scène. J’ai un rapport ambivalent avec la scène. Ça me paralyse et en même temps j’en ai besoin pour vraiment exister et sentir que ce que je fais a « une chair ».

Frank Rabeyrolles – Our House

Des concerts sont prévus ?

Un concert à Avignon le 8 décembre le jour de la sortie un pur hasard je n’ai jamais joué là bas. J’aimerais avoir plus de propositions. C’est la jungle la musique en 2017. J’ai un respect fou pour tous les musiciens quels qu’il soient car il faut une énergie folle pour jouer, enregistrer, exister. Je ne parle même pas de gagner de l’argent.

Quels disques as-tu écoutés pendant l’enregistrement ?

J’ai envie de dire aucun mais cela fait un ou deux ans que j’écoute des choses très différentes. Ça va de Grizzly Bear à Kelly Lee Owens que j’adore, The Radio Dept., Four Tet par contre je n’ai pas l’impression que ça m’influence. Mes grand chocs musicaux c’était il y a bien longtemps avec Robert Wyatt, le Velvet Underground, John Coltrane ou les Beatles. J’écoute tout ce qui sort avec plaisir et souvent admiration presque enfantine ça me nourrit, mais de façon assez indépendante de ce que je fais dans ma musique. J’aime ouvrir des blogs, des magazines et découvrir les dernières sensations du jour, du mois de l’année c’est assez drôle en fait. J’ai l’impression que tout le monde attend un peu son tour et puis quand c’est « ton moment » ça passe aussi à une vitesse folle.

Si tu devais définir For Your Eyes only en seul mot, lequel choisirais-tu ?

Quelle question piège je dirais « dévoilement » dans le sens ou la musique même à un niveau très modeste doit dévoiler, illuminer, traduire, partager.

Only For Your Eyes de Frank Rabeyrolles sera publié le 8 décembre 2017 via Wool Recordings.
Vous pouvez retrouver sa discographie sur sa page Bandcamp.
La pochette et la photographie sont signées Fabien Dendievel.

https://open.spotify.com/album/1LngjPijbdwepfSW3hY0Nj

Tracklist : Frank Rabeyrolles - Only For Your Eyes
  1. To Keep Inside
  2. Tender Child
  3. Colder than tears
  4. Crystalline
  5. Hurting
  6. Isolation
  7. More love
  8. Our house
  9. Protected
  10. Kaos

Pouet? Tsoin. Évidemment.

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