On reprend les mêmes et on recommence. Trois ans après l'excellent Mandarine (et nous pesons nos mots), Les Innocents rechaussent les gants et remontent sur le ring de la pop avec 6 ½.


Disque lumineux, 6 ½ arrive à tisser le trait d’union entre deux époques, les années 90 et le vingt-et-unième siècle. Nataf et Urbain ont encore réussi à trouver des mélodies qui vont donner envie à la concurrence de raccrocher les gants. Et nous, nous resterons seuls avec ce disque et nous serons les plus heureux du monde.

Vous êtes le groupe des années qui se terminent par le chiffre 9. Cent Mètres Au Paradis est sorti en 1989, en 1999 est arrivé votre quatrième album … En vous revoilà en 2019 pour un nouvel album

JP Nataf : On est le groupe des nine. Je n’avais remarqué cela. On est comme les trucs qu’on vend à 9,99 euros.
Jean-Christophe Urbain : L’album, pour nous, commence quand on commence à le composer. La date de sortie, c’est autre chose. 6 c’est 9 à l’envers en plus… Notre nouvel album s’appelle 6 ½. Tout est lié.

Discographie

Les Innocents – Apache

Vous avez des bons souvenirs de l’enregistrement de ces deux albums ?

Jean-Christophe Urbain : De celui qui est sorti en 1989, oui. C’était notre premier album, le début de notre aventure. Je suis arrivé à ce moment là.
JP Nataf : Au final, ce dont je suis content, c’est qu’au bout de 30 ans de carrière, on n’a pas fait assez de disques pour en oublier. Il y a des gens qui en ont oublié… Quand tu as fait 22 albums, tu en oublies forcément un ou deux. Nos disques nous ont marqué pour quelque chose. Centre Mètres Au Paradis a vraiment une place à part car c’est le premier.
Jean-Christophe Urbain : C’est un de mes plus beaux souvenirs de studio. Idem pour 1999 quand nous sommes arrivés à Real World. C’est deux moments importants. Je ne dis pas que les enregistrements de Post-Partum et Fous à Lier étaient de mauvais moments. Mais en 1989 et en 1999 nous étions plus dans le travail que dans la satisfaction d’être dans un endroit en train de jouer. Nous avions beaucoup plus de pression sur Fous à Lier. C’est sûr. Et pour Post-Partum… On venait d’un succès.

Vous êtes retournés dans le studio ICP pour enregistrer 6 ½… Comme pour le premier disque. Pourquoi ?

JP Nataf : C’était une sorte de fantasme. On avait un très bon souvenir de ce studio. Il y avait juste une petite déception. Le disque devait être produit par Paul Hardiman. Il avait produit Lloyd Cole and The Commotions. Il avait travaillé avec Geoff Emerick. On était comme des gamins quand il nous racontait des anecdotes. Et puis il a nous a plantés pour aller produire un Chris de Burgh… Ce qui était la honte absolue. Et surtout, il n’était absolument pas réalisateur.
Jean-Christophe Urbain : On s’était planté sur la marchandise. Il a passé son temps à dire que nos morceaux sonnaient bien.
JP Nataf : On a terminé le disque avec Erwin Autrique. Nous ne sommes jamais retournés là bas. Il fallait, pour enregistrer à ICP, travailler avec un ingénieur d’ICP. Et comme nous travaillions toujours avec un ingénieur de notre choix. On avait sondé ICP pour y retourner en 1999.
Jean-Christophe Urbain : En 1999, ICP commençait à s’ouvrir et on pouvait venir avec son ingénieur. Mais ce n’était pas officiel.
JP Nataf : On sait que c’est ouvert. Jean Christophe ne voulait pas aller enregistrer le disque à la campagne… Aujourd’hui, il ne reste pas beaucoup de villes qui ont de grands studios. ICP, c’est une Rolls-Royce.

Avez-vous retrouvé des sensations de 1989 ?

Jean-Christophe Urbain : Totalement.
JP Nataf : On a moins mangé de nourriture belge. On a fait plutôt confiance à la cuisine italienne.
Jean-Christophe Urbain : On a retrouvé certaines sensation. C’est un très bon équilibre entre le studio et le studio-hôtel. Quand tu es à ICP, tu y vas pour travailler. On a énormément mangé aux studios Real World.
JP Nataf : Je mange énormément… J’ai pris deux kilos chez Real World. On pouvait demander ce qu’on voulait. Il y avait un buffet veggie… On avait ramené 20 caisses de vin. Peter Gabriel venait nous rendre visite assez souvent car il savait qu’il se passait toujours quelque chose chez nous à l’heure de l’apéro. Moi j’adore à la campagne. Je suis un vrai urbain donc l’idée de l’ermitage à la campagne me plaît. Mais nous sommes allés à Bruxelles. Et nous avons travaillé, travaillé. Je n’ai rien vu de Bruxelles si ce n’est le restaurant à vingt mètres du studio.
Jean-Christophe Urbain : Je me suis un peu plus promené.

Vous aimez bien enregistrer des disques ?

JC Urbain : Je n’aime pas trop le studio.
JP Nataf : J’aime bien mais je n’aime pas quand on appuie sur la touche Record.

Pourquoi ?

JP Nataf : Dès que je fais « Record », je perds mes moyens. Je ne sais plus jouer… Même quand je suis seul, le fait de faire Record me bloque. Mais je finis toujours par y arriver.
Jean-Christophe Urbain : C’est toujours difficile de se retrouver en studio. Aujourd’hui, on a tous de quoi s’enregistrer chez toi. Qui dit studio dit compte à rebours. Je n’aime pas cette pression. Mais pour le groupe, c’est bien d’avoir une deadline.
JP Nataf : J’aime bien le studio si c’est pour un projet. J’adore si c’est quelqu’un d’autre que moi qui prend en charge la direction artistique. Chanter jusqu’à trouver la bonne version de la chanson me plait. Finir les chansons, prévoir le planning… Là c’est autre chose. Cette pression peut être parfois difficile à gérer.

Combien de temps êtes-vous restés en studio pour ce disque ?

Jean-Christophe Urbain : Nous sommes restés à peu-près trois semaines à ICP. Et dans ces trois semaines, nous avons fait les bases de 12 titres. On a refait quelques voix à Paris.
JP Nataf : C’est un record pour nous. Nous avons été très rapides.

Pourquoi ?

Jean-Christophe Urbain : Je voulais aller vite. Mais nous sommes assez consciencieux tous les deux et nous pouvons nous plaire dans la recherche.
JP Nataf : J’aime me perdre. A la différence de JC, je ne vois pas la fin du morceau. Je me complets, je m’abandonne dans la recherche. JC m’a donc un peut fait violence. J’avais d’autres projets… Je suis passé outre.
Jean-Christophe Urbain : On a la chance de pouvoir faire un disque sur une grande major.
JP Nataf : On profite… On est des danseuses. Mandarine n’a pas vendu énormément. On aurait pu nous rendre notre contrat. Nous vivons dans le luxe. Je viens de finir un disque avec Bastien Lallemant… Les conditions n’étaient pas les mêmes. Nous avons eu sept jours pour enregistrer les chansons. Nous avons répété deux ans avant d’entrer dans le studio. Avec ce disque des Innocents, nous avons pu arriver en studio avec des chansons pas tout à fait terminées.

Votre ton change sur ce disque. On vous sent plus « joyeux ». La pochette est radicalement différente de celle de Mandarine

JP Nataf : On a adoré la série de photos faites par Richard Dumas pour Mandarine. Mais nous avons été optimistes sur l’attente du retour des Innocents. Ça a été un pétard mouillé… L’album est arrivé tard par rapport aux dates de concerts. Tous nos succès sont des succès radios liés à des clips un peu loufoques. Colore, Un Monde Parfait, Un Autre Finistère… L’effet d’annonce de Mandarine est vite retombé. Les gens voulaient voir des gens qui ont la patate. Rien ne s’est passé avec ce disque. L’image ne correspondait peut-être pas à l’horizon d’attente.

Vous vouliez vous la jouer Lou Reed.

Jean-Christophe Urbain : En plus on a eu la Une de Magic, on a eu la Victoire de l’album rock de l’année. Ce n’était peut-être pas notre costume au final. Attention, tout ce qui nous est arrivé est génial. Loin de nous l’idée de cracher dessus. On avait plus envie de montrer notre côté loufoque. Enfin loufoque… On peut être de bonne compagnie.
JP Nataf : Mandarine a repris le fil du quatrième album. C’était une époque où tous les grands médias nous ont lâché et où la presse spécialisée s’est intéressée à nous.
Jean-Christophe Urbain : On était peut-être un peu snob. On avait le trac de rebosser à deux. Mandarine a été fait en deux ans et demi. C’était trop long.
JP Nataf : L’album a mal commencé. On a enregistré trois semaines à Ferver… Pour tout jeter. On pensait être prêt dès le départ. Ce ne fut pas le cas.
Jean-Christophe Urbain : Nous avons été assez prétentieux. On a été surpris de ne pas passer en radio. C’était notre métier : passer à la radio. On n’avait pas conscience du marché de 2015. On voulait donc être plus lumineux.
JP Nataf : Plus immédiat…

Le thème qui prédomine ce disque est le temps qui passe…

Jean-Christophe Urbain : Nous avons vieilli. Le temps ne passe plus de la même manière.
JP Nataf : Nous avons toujours parlé de ce thème. A une époque, j’écrivais sur des thèmes qui n’étaient pas de mon âge. Je n’ai pas l’impression d’avoir chanté mes 25 ans. La vie passe assez vite quand tu fais de la musique. On a une famille, on a les vicissitudes du quotidien. Mais nous avons une vie douce qui aplanit les difficultés.
Jean-Christophe Urbain : Il manque une chanson avec un prénom, l’histoire de quelqu’un. Pour moi c’est un album qui a été écrit en 7 ou 8 ans. Je parle pour moi.
JP Nataf : Alors que mes chansons, sur ce disque, sont des chansons de l’immédiat. Je parle de moi à ICP au mois de juin. Les thématiques sont toujours les mêmes. Et chez nous, c’est la musique qui décide, qui donne le sentiment.

Donc Opale a été écrite par Jean-Christophe…

Jean Christophe Urbain : Oui. Elle a été écrite à Fort-Mahon.
JP Nataf : Sur le quatrième album, il devait y avoir une belle chanson sur Fort-Mahon. Un superbe titre qui n’a jamais été terminé.
Jean-Christophe Urbain : Fort-Mahon, c’est mon jardin à moi.
JP Nataf : Il y est très attaché.
Jean-Christophe Urbain : J’aime le béton, les bunkers qui s’effondrent tout doucement. J’aime cet endroit. C’est mon rendez-vous.

Et qui a écrit Cascades ? Cette chanson est totalement obsédante. L’écouter une fois, c’est se condamner à l’écouter tout la journée, toute la semaine…

JP Nataf : Je voulais écrire quelque chose de léger et qui rappelle la musique de Steve Miller. Ce côté américain qui n’est absolument pas à la mode en ce moment. Jean-Cri était très sérieux… Moi je me dépêchais de finir mes chansons.

A l’arrache.

JP Nataf : Plus qu’à l’arrache ! Il faut m’arracher les textes pour qu’une chanson se termine. Jean-Christophe est arrivé avec son cœur ouvert. Du coup, j’ai voulu être plus léger. J’ai endossé mon rôle de clown avec Cascades et Les îles d’amnésie. Je voyais ça comme une comédie des frères Farrelly qui rencontrent les Fleet Foxes. Un côté americana…

Les Innocents – Les îles d’amnésie

C’est surtout très Ron Sexsmith ?

JP Nataf : Ah, je veux bien. Cette chanson est une comédie douce et amère. Jean Cri a le côté anglais. Moi le côté américain.

Elles vont être faciles à jouer ces nouvelles chansons ?

JP Nataf : Nous avons l’ambition, la prétention de faire notre meilleur disque. Si on sort ce disque c’est pour le jouer.
Jean-Christophe Urbain : La scène, c’est le seul moment où l’intuition arrive.
JP Nataf : On fait des disques que l’on veut jouer. Je veux que certaines chansons de ce disque renvoient des vieilleries aux vestiaires. Ou plutôt les renvoient dans le rappel.

Tout le monde va vous poser la question. Je vous la pose quand même. Pourquoi l’avoir appelé 6 ½ ?

Jean-Christophe Urbain : Parce que c’est notre 6 ½.
JP Nataf : On compte notre album de Noel qui s’appelle Les Innocents ‎– Chantent Noël. Il est sorti en 1989. Ou dans les premiers jours du mois de janvier 1990… Ce qui est un comble pour un disque de Noël.

Les Innocents – Quand la nuit tombe

6 ½ des Innocents sera disponible le 15 mars 2019 chez RA Group / Sony.
Les Innocents seront en concert le 19 juin 2019 au Café de la Danse (Paris). Le concert étant complet, Les Innocents vous donnent rendez-vous à La Salle Pleyel le 13 décembre 2019.

Les Innocents - 6 ½

Tracklist : Les Innocents - 6 ½
  1. Quand La Nuit Tombe
  2. Apache
  3. Les îles d’amnésie
  4. Opale
  5. Les Cascades
  6. De Quoi Suis-Je Mort ?
  7. Slow#1
  8. Au Bord De L'Etna
  9. Mon Homme
  10. Aime-Moi

Pouet? Tsoin. Évidemment.

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