Festival des Nuits de Fourvière : Splendides My Brightest Diamond & Bon Iver

Bon Iver @ Nuits de Fourvière | 30 juillet 2012
Photographe : David Heang Quand on a un peu tourné dans les atmosphères de concert, après pas mal de salles noires, de chapiteaux gigantesques, de décibels et d'ambiances électriques, on a tendance, et c'est dommage, à prendre le pli, doucement mais sûrement des performances publiques. Les musiciens sur scène, les guitares, les batteries, le piano, tout ça finit bien souvent par tourner en rond, et on arrive finalement sur place les oreilles attentives, mais le cerveau rôdé à une certaine cadence du live. Et puis malgré tout, dans la foule des habitués du grand show, dans votre tourbillon incessant des copains qui ont vu tel concert ou tel artiste, il y a toujours quelqu'un pour te dire "Tant que tu n'as pas vu un final des Nuits de Fourvière, tu n'as rien vu". On sourit doucement, on atteste, on dit qu'on verra, qu'on n'attend que ça, la surprise, mais on part finalement sans trop s'attendre à grand chose.


Pourtant la soirée de ce Lundi 30 juillet s’avérait prometteuse. Bon Iver, on l’avait découvert, seul à la guitare, avec son magnifique Skinny Love et l’album For Emma, Forever Ago. Et puis après quelques mois, à la découverte du second album, on s’était habitué, sans presque s’en rendre compte, jusqu’à réaliser un jour qu’il ne se passait pas vraiment une semaine sans que Wash, Michicant ou Towers ne revienne nous caresser les oreilles. La marque de Bon Iver, c’était les ambiances éthérées, la voix aigüe et modulée, les cuivres en arrière plan, ce nappage magnifique qui faisait sombrer, à chaque fois, dans le délice de la folk, son oubli, sa langueur. Et puis My Brightest Diamond, en première partie, c’était tout simplement, depuis qu’on avait entendue Shara Worden à la rétrospective Bob Dylan (menée de main de maître par Syd Matters), la plus belle voix féminine du paysage folk, et ça en devient presque réducteur lorsque l’on en vient au timbre de cette artiste magnifique, la plus belle voix féminine, à vrai dire, de la scène musicale actuelle. Alléchant, donc, plein de promesses, cette programmation, et certainement assez belle pour que, grâce à David Heang, notre photographe pour la soirée, je me cale dans le premier train pour Lyon, arrêt Amphithéâtre de Fourvière, ce magnifique vestige gallo-romain à ciel ouvert où se pressent des milliers de personnes lorsqu’à 21h, j’y trouve enfin ma place, et mon coussin.

My Brightest Diamond

Shara Worden rentre sur scène, et c’est tout de suite le grand jeu de ses gamineries habituelles : masques, paillettes, chapeaux, sourires de petite fille irresponsable et un peu folle. J’attends sourire en coin, sous le regard incrédule de ceux qui ne la connaissent pas encore. C’est l’affaire de quelques secondes : Il suffit qu’elle approche ses lèvres du micro, et en un souffle, c’est le silence complet. La machine est lancée et du plus profond du coffre de cette créature minuscule sort une voix, et quelle voix bon sang, une voix d’opéra au service de la folk, une voix puissante, dévastatrice, enchanteresse. Shara Worden sourit, simplement, heureuse d’être ici comme elle le signifiera à plusieurs reprises dans un français maladroit et touchant, entre deux chapeaux de contes de fées et masque de diamant qu’elle promène dans les air. Il ne lui faut pas plus d’une guitare et d’un irréprochable batteur qu’on croirait tout droit sorti d’un bar de la Nouvelle Orléans, accompagné d’une petite apparition du violoniste/trompettiste et du saxophoniste/bassiste de Bon Iver, pour imposer son style. C’est net, c’est doux, souriant, et puissant, implacable à la fois. Lorsqu’elle maintient la note, la pousse, la monte à l’octave, on reste scotché par la puissance de feu de cette toute petite femme. Profitant d’un solo de batterie, elle danse, court, cabriole comme une enfant joueuse derrière son musicien. On ne peut s’empêcher de sourire, charmé. Comble du comble, la chanteuse s’autorise même une digression électro dans son inventaire folk. Qu’importe : sa voix transcende les genres, et on se laisse très vite porter, par ce petit bout de rien du tout qui montre une force d’opéra sans avoir l’air d’y toucher le moins du monde. Lorsque minuscule, elle s’efface dans les coulisses, on n’a pas l’impression d’avoir assisté à une première partie, mais à une magnifique prestation, qui n’a eu besoin d’aucune béquille, dd’aucun grand frère pour nous tenir en haleine sans voir le temps passer.

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Bon Iver

Et pourtant, grand frère il y a, et lorsqu’après le temps de démontage remontage réglementaire, les lumières s’éteignent enfin pour laisser place à la nuit qui est tombée sans que l’on s’en rende compte, on se surprend à siffler et à applaudir, plein d’impatience, comme tout le monde. Justin Vernon monte enfin sur scène, accompagnée de la bagatelle de huit musiciens : Deux guitaristes dont un violoniste, un bassiste parfois abonné aux cuivres, deux batteurs, un tromboniste percussionniste, un pianiste trompettiste, et un saxophoniste qui, tant qu’à faire à plus d’un tuba dans son sac. Au final, si on additionne le total des instruments joués par tous, l’on a en face de nous une très grosse dizaine de sons différents. Cette force de frappe s’entend, s’impose, et elle nous fait très vite comprendre que le concert sera sans concessions en ce qui concerne le niveau sonore. Ce sera fort, « blastique », et en entamant Perth d’entrée de jeu, les cuivres et percussions, tranquillement reléguées en arrière plan au mix de l’album viennent nous frapper en plein sur la nuque. Les peaux tendues à l’extrême des caisses claires sonnent comme des coups de fusils, les plages de cuivres, inspirées, entraînantes, nous font inévitablement décoller vers le niveau supérieur. Justin Vernon a compris qu’il y a une folk d’album, et une musique de live, et le parti pris retenu nous délivre deux heures d’un magnifique et énorme orchestre, parfait jusque dans les cacophonies orchestrées qui se résolvent en quatre coups de cymbales pour revenir, comme on pourrait dénouer un noeud en tirant sur une ficelle, à une précision harmonique de studio. Le mixage du live, pour une fois parfait, et l’acoustique naturelle du lieu ne laissent aucune part au silence : partout le son ronfle, enfle se tend et se délie, circule et souffle dans nos oreilles.
On reprend sa respiration le temps d’une pause et du magnifique Skinny Love, une des quelques seules chansons que le frontman jouera seul, à la guitare. Dans le même registre, Flume bénéficie en plus d’un final retentissant où tout l’orchestre se réveille, et accompagne de nouveaux cuivres la mélancolie magnifique du titre. Re:stacks lui sera à la guitare électrique, et prouve une fois de plus que sous ce déluge d’instruments, Vernon n’a besoin de prouver à personne qu’en prenant une simple guitare, il en impose par l’extraordinaire dispensaire d’émotions que peut délivrer sa voix.

Le décor mérite d’être mentionné, ainsi que le jeu de lumières qui contribue à nous faire plonger dans l’univers du chanteur : de grandes toiles rapiécées, sont placées en hauteur et retombent vers la scène et le groupe. Au moindre jeu de lumière, les toiles s’animent, captent, reflètent et disposent, tout en ombre, des couleurs et des images projetées. Pour la dernière chanson, le groupe se retrouve soudainement peint, comme lorsque l’on se place devant un vidéoprojecteur, de couleurs fauves, par grandes couches violettes, roses, bleues, blanches, comme un diapositive abîmé dont les couleurs ont bavé sur toute la surface. Effacé derrière les lumières, en avant devant le public, seuls les yeux de Vernon transparaissent dans la couleur blanche.

Et puis soudain, sans prévenir, voici que le joueur de tuba à troqué son monstre de cuivre pour un saxophone. Le solo fantastique et halluciné qui en suit scotche tout le monde à son siège. Lorsqu’en enfin il est relayé par tous ses collègues, on est tous partis ailleurs, loin, très loin de tout ce qui n’est pas le son, la musique, Bon Iver et son orchestre dont il joue avec un brio de maître pour nos oreilles ravies. « Sing », ordonne Vernon lors de la dernière chanson. Et devant lui, ce sont dix milles voix qui s’élèvent en choeur, reprennent, scandent, chantent les paroles qu’il murmure au micro.

On le connaît tous, cet ami Lyonnais qui nous a dit un jour avec un tremolo de fierté dans la voix « Tant que tu n’as pas fait le festival des nuits de Fourvière, tu n’as rien fait ». De retour dans le salon de l’ami qui m’héberge, la tête encore pleine des images de la soirée, il s’avère qu’il m’est extrêmement difficile de le contester. Lorsque dans la nuit noire et chaude, éclairée par les spots de la scène, on balance la nuque en arrière pour contempler les centaines de coussins qui sont jetés par le public en liesse, et qui finalement sous l’effet du grand nombre volent, filent, planent au dessus de nos têtes sans jamais retomber par terre, on ressent, enfin, l’excitation trépignante du bonheur pur. En deux heures de concert, on en a pris pour dix ans de technique musicale, et une magnifique, majestueuse, resplendissante claque en pleine gueule.

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Date : 30 juillet 2012

5 réponses sur « Festival des Nuits de Fourvière : Splendides My Brightest Diamond & Bon Iver »

bonsoir,

bon je suis venu déjà répandre mon fiel chez antony et « toute ouie », je vais m’arreter la, ca va trop virer au systématique
bref, je ne suis pas forcément d’accord avec ta vision des choses ( surtout pour la première partie de my brightest diamond qui m’a ennuyé au possible) mais étant plus cinéphile que mélomane, j’aurais des arguments moins affutés que les tiens…et il faut reconnaitre que ta chronique est merveilleusement bien écrite et rendue, je m’inclinerais donc devant…et j’ai maintenant qq complexes à écrire la mienne d’ailleurs :o)
bonne soirée à toi

Je te remercie, pas de soucis pour MBD, moi je préfère d’ailleurs en live plutôt qu’en studio donc j’imagine que ça ne va pas du tout être ta tasse de thé… C’est la vie !

A bientôt chez nous !

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