Dominique A en liberté

En 1992, Dominique A révolutionna la chanson française à l'âge de 24 ans avec un disque, La Fossette enregistré sur un 4 pistes. En 2018, Dominique A revient à ses premiers amours avec Toute Latitude. Si le nombre de ses années a quasiment doublé depuis ce fameux soir où France Inter diffusa La Fossette, le nombre de pistes de son studio a aussi été multiplié par deux. C'est avec un huit pistes qu'ont été enregistrées les chansons noires de Toute Latitude.


Comme pour un disque de Michael Head (The Pale Fountains, Shack), on aura un avis définitif sur le nouveau disque de Dominique A dans quelques mois au bout de quelques dizaines d’écoutes. Toute Latitude, enregistré avec les fidèles Jeff Hallam, Etienne Bonhomme, Thomas Joli et Sacha Toorop nous renvoie à un passé sombre où la voix de Dominique A nous emmène dans un corps de ferme à l’abandon ou sur une plage. Electro rock ou rock electro, Toute Latitude nous fait quitter les grands espaces d’Eléor pour nous faire prendre des chemins de traverse en noir et orange.

C’est l’achat d’une boîte à rythmes analogique qui a accouché de ce nouvel album ?

Dominique A : Oui. Elle a donné le la. Mais il y a deux choses en vérité : il y a cette boite à rythmes et un studio huit pistes. Je me suis ré-équipé un petit peu. Après le son… Il est lié à cette boite. Elle fait courir le disque. Cela aurait été malhonnête de la passer sous silence.
Il y avait cette volonté d’enregistrer chez moi avec ce huit pistes. Je voulais quelque chose de tactile. Je ne suis pas du genre à cliquer sur des souris et je déteste travailler sur des logiciels. Je ne sais pas le faire. Il faut que je touche les choses. Le numérique ne me dérange pas. Mais j’aime l’analogique. Il y a une simplicité, une immédiateté… Et cela me renvoie à mes glorieux débuts avec ce fameux 4 pistes.

Discographie

Dominique A
Dominique A © Louis Teyssedou

Ces deux machines ont-elles nourri ta mécanique de création ?

Oui, complètement. Sur ce disque en l’occurrence, certains morceaux sont partis d’une rythmique. Il y avait une vague idée de songwriting… Des fois un texte. Certains morceaux comme La Mort d’Un Oiseau sont bâtis sur un seul accord.
L’idée était de privilégier cet aspect et ne pas travailler avec des harmoniques. Le huit pistes est aussi un aboutissement du prochain disque. J’ai tout enregistré dessus. Les deux albums tiennent sur des cartes SD que j’ai rangées dans une petite boite que j’ai ramenée soit de Madagascar ou soit de La Réunion… Je ne sais plus. Il y a une vingtaine de cartes SD. C’est le point de départ. Nous avons tout repris en studio, fait des prises et on l’a mixé avec du matériel analogique pour donner du grain et le réchauffer. Mais tout part de ce huit pistes et de cette boite à rythmes avec lesquels j’ai travaillé pendant un an.

Ces deux albums ont nécessité un an de travail ?

Neuf mois.

Dominique A
Dominique A © Louis Teyssedou

Comme le temps d’une grossesse.

Oui. In utero. Oui neuf mois… Je dis des bêtises. On va dire une année de travail. Ce qui est un délai correct au final.

C’était le cas pour les autres disques ?

C’est rarement plus. Il y a en général un gros travail d’écriture qui dure entre quatre et six mois.

Tu as prononcé les mots « In Utero ». Je vais te poser une question qu’Emmanuel Tellier a posé à Kurt Cobain lors de la sortie du troisième album de Nirvana si je ne me trompe pas… Tu n’as jamais eu peur de casser ta mécanique de création ?

Il y a des moments de moins bien. Chaque sortie de tournée est un recommencement. Elle débouche sur des envies d’écriture et cette mécanique… C’est vraiment une mécanique. Il faut huiler la machine. Il y a temps de rodage qui comporte des fausses pistes. Tout se débloque avec un morceau qui donne le la. Ce n’est pas le morceau le plus fondamental du disque mais il permet de faire avancer les choses. Il ouvre une porte et tu t’y engouffres.
Sur cet album, il s’agit de La Mort d’Un Oiseau. Ce qui n’est pas étonnant au final. Il est extrêmement rythmique et il a un côté assez concis. Il est proche de l’idée que je me faisais du disque. Il est électro, comme le disque… Je ne pensais pas faire ça. Et puis, c’était juste impossible. Le morceau a dicté sa loi. J’étais dans l’attente du résultat pour ce disque. C’était assez déstabilisant. Je savais que le deuxième serait proche de ce que j’enregistrais. Mais celui-là avait une part d’inconnu. Que ce soit pour le son.
A un moment donné, j’ai vraiment délégué. J’ai ramené la matière première (les chansons, la base rythmique, les claviers et les guitares) et après c’était entre leurs mains. Chacun a défilé avec ses idées. Thomas Poli et Etienne Bonhomme ont enregistré préalablement beaucoup de choses chez eux. Ils m’avaient envoyé beaucoup de choses avant de rentrer en studio. Nous avons dû faire un tri car le nombre de propositions était vertigineux. Et puis après il y avait un manque à un moment donné, un manque harmonique. On s’était tellement concentré sur l’aspect rythmique que nos avions un peu délaissé ce côté là des choses. Thomas était sur plu des textures sonores… Sur l’harmonie, on était en manque de. Il fallait plus d’harmonies sur certains morceaux. Et je ne savais pas que ça fonctionnait pas. Je ne m’en rendais pas compte.

Comment t’en es-tu rendu compte ?

Je n’étais pas à l’aise. Et puis quelqu’un d’extérieur vient et recadre les choses. C’est terrible. C’est le test fondamental. Tous les doutes que tu avais se confirment, tous les motifs de satisfaction se confirment aussi. C’est un miroir. La personne projette sur toi tout ce que tu savais et ce que tu ne voulais pas t’avouer. Alan de la maison de disques et Sandrine ma manageuse ont écouté la mise à plats… J’ai eu un sentiment de malaise très fort. Il manquait juste une journée de studio pour rajouter des accords et des harmonies. Les thèmes de guitare d’Aujourd’hui n’existe plus datent de ce dernier jour.
Je n’aime pas travailler comme ça mais le disque réclamait ça. C’est un disque de production. J’avais dit à Géraldine et Dominique qui ont enregistré le disque que leur travail allait porter le disque. On est sur un disque de production. Il y a eu des échanges de fichiers, on a demandé à Jeff de refaire une partie de basse chez lui. Cette manière de travailler n’est pas très excitante. Mais pour ce disque, peu importait la méthode au final. Je le répète, je n’aime pas travailler comme ça. Entre le studio et l’enregistrement domestique…. Après cela ne s’entend pas.

C’est un disque très cinématographique. Sébastien Laudenbach a réalisé tous ses clips. Comment l’as tu rencontré ?

Via Ollivier Mellano. Ils avaient travaillé ensemble sur des films. Il a fait la musique de La Jeune Fille Sans Mains de Sébastien. Il a fait un court métrage intitulé Vascoinspiré par la chanson L’Horizon. Il me l’avait fait parvenir et j’avais trouvé ça très beau.

Vasco – Sébastien Laudenbach

On s’est croisé lors d’une fête. On a sympathisé. Mon label désirait que je fasse des clips d’animation pour le visuel de l’album. L’animation demande du temps et nous en avions. On disposait d’une année pour faire ce travail. C’est le premier nom qui m’est venu à l’esprit. Entre ses propositions et le résultat, il y a très peu d’aller-retours. Tout s’est fait de manière très fluide. Les gens me parlent de collaboration mais ce n’est pas le bon mot.

Dominique A – Album « Toute latitude », le film (4 titres)

Tout est de lui ?

Oui c’est son interprétation. On était dans un sentiment de déférence, d’admiration. Il était porté par nos réactions. Il y a toujours une vision doloriste de l’art. Je m’y oppose tout le temps. Les gens ne donnent pas le meilleur d’eux mêmes quand ils souffrent, que ce soit physiquement ou mentalement. Quand on met les gens en confiance, ils sont plus à même de donner le meilleur d’eux-mêmes. Il y a des conceptions antinomiques de l’art comme dans tous les domaines d’ailleurs. Je ne suis absolument pas doloriste. Je veux que ça soit fluide. Il y a parfois des dissensions. Mais si un conflit arrive, je me bloque. Et il n’en ressort rien de bon.

Tu sembles assez en colère sur ce disque. Pourquoi ?

Je ne sais pas. Je vis dans un endroit qui me plait : je vis au bord de l’eau face à la Loire. Tout va bien dans ma vie. Il n’y a aucune situation compliquée. Cela suscite par contre coup de l’inconfort. Dans une situation où tout va bien, je crée du conflit. C’est mon interprétation bien sommaire. Je me suis posé des questions. Pourquoi je sors de telles choses ? Je me suis posé des questions. Est-ce que je vais tout faire voler en éclats ?

Tu t’es fait peur ?

Oui, un peu. Daho parlait du côté prémonitoire des chansons. Par le passé, certains disques ont été annonciateurs de bouleversements radicaux dans ma vie. Je pense notamment à Remué. Cela m’a fait peur. Après c’est le jeu de la création. Il fallait que j’exprime cette colère. Je pensais m’être coupé de cette noirceur mais en réalité non. Je m’en suis aperçu en studio. C’est ainsi.

Le mot Latitude est polysémique. Comment faut-il le comprendre ? Il est utilisé de manière géographique ou il faut l’entendre au sens de la liberté ?

C’est surtout le coté liberté. C’est aussi la sonorité du mot qui m’a intéressé. Les « t » rompaient phonétiquement avec les « or » et les « eur ». C’était rond et suave. Là c’est plus cassant et ce mot accompagne bien la rupture générée par ce disque.

Une des chansons évoque un souvenir. Quelles relations entretiens-tu avec ton passé ?

Il s’agit de relations et de régurgitations perpétuelles. Sur ce disque, je me concentre beaucoup sur ma jeunesse. Je reviens sur cette espèce de formidable perméabilité que tu as de 0 à 20 ans… C’est cette façon de prendre les choses de plein fouet. J’ai essayé de retrouver ces excitations, ces épiphanies et ces impressions. Dans le deuxième disque ce désir de retrouver ces premiers ressentis revient encore. Tout bouge sauf ça. J’aime bien ce qui ne bouge pas. Pour moi, comme Corps de Ferme à l’abandon, c’est de mettre le passé en parallèle avec une expérience actuelle qui m’importe. La chanson commence d’ailleurs quand je reviens sur les lieux et le ressenti me renvoie à l’enfance. Souvent dans mes chansons, c’est le retour en soi qui m’intéresse. Ce n’est pas le regard rétrospectif et surplombant mais le positionnement contemporain face au passé qui m’intéressé. Je suis réellement retourné dans un corps de ferme à l’abandon. Je l’ai vécu : j’ai été assailli par les vibrations négatives de l’endroit. Il y a un coté mise en scène, une dramatisation y compris dans l’autobiographie.

Dominique A - Toute Latitude

Dominique A - Toute latitude

Tracklist : Dominique A - Toute Latitude
  1. Cycle
  2. Désert d'hiver
  3. Toute latitude
  4. Les deux côtés d'une ombre
  5. La mort d'un oiseau
  6. Aujourd'hui n'existe plus
  7. La clairière
  8. Enfants de la plage
  9. Lorsque nous vivions ensemble
  10. Corps de ferme à l'abandon
  11. Se décentrer
  12. Le reflet

Toute Latitude de Dominique A est disponible chez Cinq7 / Wagram.
Dominique A sera en concert les 14 et 15 avril à la Philharmonie de Paris avec My Brightest Diamond en première partie le samedi pour une soirée baptisée « rive électrique » et le dimanche avec en ouverture de sa balade sur la « rive solitaire » Mermonte, Laura Cahen, Facteurs Chevaux et Lætitia Velma.

Pouet? Tsoin. Évidemment.

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