Sweet Gum Tree en cinq questions
Ta rencontre sur la route ?
En vacances d’été à Cambridge en Angleterre, quand j’avais 18 ans, je sors de chez le disquaire avec un best of des Stranglers sous le bras, et entame à pied le chemin du retour vers ma maison d’accueil. Et là, chose assez incroyable, sur le trottoir je croise nul autre que Dave Greenfield, le clavier du groupe, dont j’ignorais complètement qu’il vivait là, mais que j’ai tout de suite reconnu, c’était assez surréaliste. Il a été très abordable, d’une gentillesse désarmante, bien loin de l’image sulfureuse du groupe ou de sa réputation difficile. Cet été là, on s’est retrouvé régulièrement au pub du coin pour des discussions amicales, et pour ma part, riches en enseignements. C’était une belle personne, et bien sûr un musicien hors-pair, un peu le Ray Manzarek de sa génération, quoi. L’annonce de sa disparition l’an dernier m’a beaucoup ému.
Ton souvenir de concert (ou de tournée) ?
Le concert de Sweet Gum Tree à la fameuse Union Chapel de Londres en 2014, avec une section cordes. C’est un lieu qui possède un supplément d’âme, une acoustique impressionnante, et où se sont produits presque tous les musiciens qui m’ont marqué. On pourrait se sentir tout petit sur cette scène, ou relativement humble, mais en fait on s’y sent à l’aise, le lieu est accueillant, et on rêverait presque de pouvoir y jouer tous les soirs. Il y a une forme d’intimité avec le public qui tranche avec la grandiloquence de l’architecture, c’est assez troublant.
Ton endroit préféré pour composer ?
L’élément naturel, peu importe l’endroit, relativement isolé, avec du calme et du silence autour, en générant une forme de manque, mais avec ce multipiste imaginaire qui tourne en permanence dans ma tête depuis toujours.
Ton disque culte ?
Starfish de The Church, parce que cela a marqué un vrai tournant dans ma vie, et que ça reste pour moi un point de repère. J’ai été comme foudroyé en entendant Under The Milky Way pour la première fois l’été 1988, une partie de moi-même dont j’ignorais jusque-là l’existence venait de m’être révélée. Ce côté doux-amer, cette mélancolie lumineuse… Une alchimie véritable se produit tout au long de ces dix titres où la voix, les deux guitares et la basse jouent d’une complémentarité subtile et intelligente, et développent des textures uniques. C’est profond, mystérieux, poétique et relativement intemporel. De Destination à Hotel Womb, c’est d’une classe absolue, surtout pour replacer le disque dans le contexte des eighties. The Church a ensuite souvent dépassé les sommets de ce disque, notamment sur « Priest=Aura », mais celui-ci reste plus près de mon cœur pour les raisons évoquées.
Ta rencontre inoubliable ?
Justement, celle avec Marty Willson-Piper, mythique guitariste de The Church, une icône pour moi. La première fois, c’était au début des années 2000 dans un club new-yorkais, où il jouait en solo. Arrivé de bonne heure, je franchis la porte et tombe direct sur lui, un rien transi d’émoi. Je crois avoir bafouillé que j’avais rêvé de ce moment toute ma vie… de quoi faire fuir n’importe qui, en gros. Pour désamorcer la situation, il m’a pris par les épaules et a pointé un index vers le ciel en s’exclamant « Tu vois ? Il y a une lumière ! ». On s’est marré, puis il a maladroitement récité un poème de Ronsard en roulant bien les R. Par la suite on s’est retrouvé régulièrement après des concerts du groupe, à Londres, à Paris… J’ai fait des sessions d’enregistrement dans son studio du sud de l’Angleterre. On est devenu amis, il m’a rendu visite chez moi, il est venu jouer de la basse sur le premier album de Sweet Gum Tree, puis il m’a carrément accompagné en tournée. Plus tard il m’a fait jouer lors de son mariage. On envisage d’écrire un album ensemble. Cela reste finalement assez dingue. A une époque, il était cette figure lointaine ornant les pochettes de pressages australiens, et je n’aurais jamais imaginé que la vie nous rapprocherait de cette manière.
Ton nouvel album Silvatica ?
Depuis vingt ans que j’explore des territoires sonores, j’ai l’impression d’avoir réalisé mon travail le plus abouti, à la fois mon disque le plus libre dans sa forme, et paradoxalement le plus séduisant d’emblée, à mon sens. J’avais en tête d’oxygéner l’auditeur, et la notion de souffle devait se trouver au cœur même de l’album : celui de la voix humaine, le souffle du saxophone, celui des amplis, des magnétos à bande. La chaleur du son analogique s’est imposée, en parfaite opposition au côté stérile et transparent que je reprocherais volontiers à la plupart des productions modernes. Idem pour ce qui est de la méthode de travail, j’avais besoin de revenir aux fondamentaux : plonger cinq musiciens dans la même pièce et enregistrer dans des conditions proches du live, en trois jours seulement.
Ton clip Exposure en quelques mots ?
Électrique ! Le charisme de Fiona Tison, la réalisation de Jon Verleysen, la vision artistique de Juliette Pretat-Palacio… Une belle rencontre humaine, et sans aucun doute le clip de Sweet Gum Tree le plus ambitieux jusqu’ici.
Ton prochain rêve ?
Signer une BO de film.
Sweet Gum Tree – Exposure
Pulling me out of my reverie
She walks up to me, gorgeous creature
Picking a stranger out on the tube line
Eyeing me wild, intensely bold
Hands on hips, jaunty lips
A threat to my peace of mindShe dares me to stare
She dares me to care
She sends electric signals in the airFrom a defiant source to a candid destination
The heedless light carries sensitive information
Wish I could figure out the rules of her game
Is this some kind of romantic holdup
Or sentimental hit-and-runHijack my feelings
Expose this heart of mine
Mirror yourself in me
And rape my mindMysterious encounter
Mere seconds feel like foreverThe drama’s over now
You’re getting off at the next station
The doors open, you turn your back
And leave the rest to my imagination
As I watch you walking away
The day follows its steady course
Life goes on as before but not quite
And I pretend to just ignore the curseThat tease with one glimpse
Of what could have been
Lingers to haunt me ’til the day I die
La playlist de Sweet Gum Tree
En écoute avec Sweet Gum Tree
En écoute avec Sweet Gum Tree
Extrait de l'excellent album Knives Don't Have Your Back, intimiste et délicat, composé au piano, comme éclairé à la bougie, il faut l'apprivoiser en prenant tout son temps. Avec la bénédiction de Robert Wyatt au passage. Il ne me quitte plus depuis sa sortie il y a une quinzaine d'années.
Comment résister à une aussi belle proposition ? Un morceau moins éthéré qu'il n'en a l'air, avec son final intense sur le plan textural, larsens et basse fuzz à l'appui, mais qui demeure suspendu comme par magie, hypnotique. L'art de jouer peu de notes, juste les plus belles. Mon groupe préféré, pour ceux qui ne seraient pas encore au courant...
L'un des morceaux les plus troublants de l'album "Hunter". Cette artiste est fascinante, elle possède une personnalité affirmée et complexe, ou force et fragilité sont étroitement mêlées, même sur ce disque plus pop qui ne ressemble à aucun autre. J'espère qu'elle ne lâchera pas sa Telecaster de sitôt. Il y a une osmose précieuse entre sa voix et sa guitare.
L'album Some Cities marque vraiment l'apogée de la Britpop, je trouve, en termes de production, juste avant l'extinction du genre. La classe de morceaux comme Black And White Town, Snowden ou The Storm font de ce disque un sommet des années 2000, mais également et surtout un classique absolu.
De quoi s'impatienter de la sortie de son quatrième album solo, repoussé pour cause de pandémie et de reformation de Supergrass. Je venais d'enregistrer Silvatica, quand je me suis aperçu qu'on avait eu simultanément l'envie de ressusciter le rôle du saxophone. En même temps, c'est normal, on est l'un comme l'autre très marqué par l'œuvre de Bowie.
Un artiste qu'on réduit trop souvent à un folk-rockeux option Neil Young. Au-delà d'un jeu de guitare pointu, c'est aussi un génial défricheur sonore, et sur ce morceau on est clairement plus en territoire krautrock. Ce truc un peu naïf, enfantin et nonchalant, qui pourrait m'insupporter chez d'autres, me séduit complètement chez lui. D'ailleurs la première fois que j'ai entendu la voix de Kurt Vile, elle m'évoquait assez celle de Peter Koppes, "l'autre guitariste" de The Church, dans ses œuvres solo. Plus tard, sans grande surprise, j'ai entendu Kurt Vile vanter les mérites du groupe australien.
L'un des morceaux les plus fascinants de son chef d'œuvre "Have You In My Wilderness". Typiquement le genre de disque qui transcende les genres et se moque des archétypes. Peut-être l'un des rares albums à pouvoir se rapprocher de l'intouchable Never For Ever de Kate Bush, en termes d'ambition artistique. Un voyage musical qui ne se refuse pas.
Magnifique collaboration entre Sylvian et Fennesz. Un moment suspendu hors du temps, un morceau rare, où chanson et musique "ambient" trouvent leur plus belle expression commune. On espère que son interprète retrouvera l'envie de tutoyer de telles cimes
Issu de son dernier album en date, qui procède d'une manière assez planante. Cet ancien collaborateur de Kurt Vile s'en rapproche davantage stylistiquement sur ce nouveau disque particulièrement attachant, plus aventureux sur le plan sonore. Pas étonnant que le label Matador ait signé Steve Gunn, juste après le départ de Kurt Vile précisément.
Pas facile d'isoler un seul morceau dans la foisonnante discographie de ce duo stellaire... Cet extrait du récent Pink Air, qui clôture l'album avec grâce et simplicité, s'avère particulièrement émouvant, autant sur le fond que dans la forme. Je ressens un peu l'influence de Gainsbourg dans la suite d'accords du refrain, je trouve que c'est le genre de composition qu'il aurait volontiers offerte à Jane Birkin.
C'est typiquement le genre de morceau dont tu te remémores précisément où et quand tu l'as entendu pour la première fois, ce que tu faisais à ce moment-là. Moi, il m'a cueilli l'année de mes quinze ans, par le biais de la radio (pourtant il n'était absolument pas destiné à affoler les playlists). On a tout dit et écrit à propos de ce chef d'œuvre, mal-aimé à sa sortie. L'album Spirit Of Eden a été fondateur pour nombre de musiciens par la suite. L'emploi des silences, la profondeur de l'espace, les notes accidentelles... Disque intemporel, et frissons garantis à chaque écoute.
Une collaboration vraiment magique avec le mythique saxophoniste sur ce projet propice à l'évasion. Encore un truc qui défie la classification et transcende les genres. L'un des coups de cœur de l'année écoulée dans l'ensemble de la presse musicale, à juste titre.
Plus d’informations sur la page Facebook de Sweet Gum Tree.
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