[1997 – 2017] Étienne Charry revu et corrigé

Étienne Charry n'a que des bonnes idées. L'ex Oui Oui, groupe qu'il avait fondé avec Michel Gondry, a récemment présenté son label Catalogue. Créé de toutes pièces par Charry, ce label compte pas moins de soixante-dix artistes inventés.


Vingt ans plus tôt, Bertrand Burgalat inventa et créa son label Tricatel pour publier la musique de ce brillant musicien.
Brillant dîtes-vous ? Totalement. En écoutant 36 Erreurs, on se rend compte de l’erreur qu’on avait faite en n’écoutant pas ce disque plus tôt. Sur cet album monumental, Charry annonce les dix années de musique française qui vont suivre. 36 Erreurs est un disque qui nécessite 36 écoutes mensuelles pendant autant de mois pour comprendre l’A.D.N. de ce disque. L’écriture de ce disque est parfaite. Son écoute jouissive !

Étienne Charry

Formidable de Oui Oui date de 1992… 36 Erreurs de 1997. Qu’as-tu fait pendant les cinq années qui précédent la sortie de ton premier disque solo ?

Etienne Charry : Formidable est sorti chez Fnac Music qui avait récupéré le catalogue de Just’in, le label qui nous avait signé pour notre premier album et qui malheureusement avait dû cesser ses activités. Le rapport avec cette équipe qui n’en avait rien à faire de nous m’a personnellement laissé des impressions plutôt déplaisantes et c’est assez naturellement qu’après avoir tout de même fait quelques concerts assez mémorables avec notre dispositif de flipper géant sur scène, nous avons, suivant le déroulé classique de bon nombre de groupes, décidé de nous séparer. Mais je suis sorti de cette expérience en n’ayant aucune envie de me retrouver à nouveau dans cette situation où la plus importante part de notre activité musicale consistait à prendre ou à déplacer des rendez-vous avec une chef de produit. Sans parler de cet épisode que je n’oublierai jamais, Yves Bigot, alors du patron de Fnac Music à l’époque avait fait faire à des DJ’s / remixers parisiens de ses amis un remix totalement bâclé sur lequel ma voix qui était juste sur l’enregistrement de départ se retrouvait complètement fausse à certains moment. Alors, au cours d’un déjeuner où nous devions évoquer ce léger problème, l’important personnage a eu l’aplomb de me dire que la raison en était que je chantais faux.
Autant dire que tout cela m’a plutôt incité à fuir ce monde des maisons de disques. J’ai donc continué à faire de la musique en marge.

Discographie

36 Erreurs fut publié chez Tricatel. Comment as-tu rencontré Bertrand Burgalat ? Te rappelles-tu de votre première rencontre ?

Je me rappelle très bien de la première rencontre avec Bertrand. C’était au cours d’une petite fête au bord de la Marne. Un ami commun nous a présentés et après avoir discuté longuement musique j’ai quitté Bertrand avec l’impression rare et très plaisante de partager tout un tas de goûts et de références avec lui. J’avais été également charmé par la distinction du personnage et petit détail amusant, j’étais alors depuis peu le papa du jeune Arsène qui m’avait gratifié au cours de notre discussion d’un renvoi qui orna le revers de ma veste jusqu’à la fin de celle-ci, ce qui, évidemment me plaça dans une positon légèrement désavantageuse en terme d’élégance face à Bertrand.

Où l’as-tu enregistré ?

Nous avons enregistré dans les locaux de Tricatel de l’époque, rue Richer où Bertrand avait rapatrié tous les instruments qu’il avait ici et là (et il y en avait ! ). Nous enregistrions sur un système de direct-to-disc que je n’aimais pas beaucoup et qui plusieurs fois tomba en panne mais à part ça, la moquette, la lumière qui entrait par les fenêtres, les marimbas, timbales, tubular-bells qui occupaient une bonne partie de l’espace, l’absence de cabine, tout cela formait un cadre plutôt chouette et agréable.

Etienne Charry
De gauche à droite : Gaël Robin l’ingénieur du son de 36 Erreurs, Étienne Charry et Bertrand Burgalat © Etienne Charry

Combien de temps cela a pris ?

Si je me souviens bien, nous avons procédé par périodes de plusieurs jours un peu en fonction des disponibilités de l’ingénieur du son et cela a dû s’étaler sur environ deux mois avec le mixage. Pour bon nombre des morceaux, je venais avec des choses enregistrées chez moi que nous intégrions parfois, selon les cas, à ce que nous enregistrions. J’aimais l’idée qu’il n’y avait pas d’un côté, les maquettes et de l’autre les morceaux faits au propre. L’idée que le principe d’enregistrement offre la possibilité incroyable de jouer avec le temps, d’aller déterrer par exemple un petit fragment de maquette enregistrée 4 ans plus tôt et de la juxtaposer avec une prise toute fraîche du jour même.

Quels sont tes meilleurs souvenirs de cet enregistrement ? Il y a pas mal d' »invités » sur ce disque. Cela n’a pas été trop difficile à gérer ?

Les moments où nous recevions les invités étaient les moments de récréation et de récompense, ce n’est pas ce qui était le plus compliqué. Ce qui était le plus compliqué était de s’organiser de la façon la moins anarchique possible pour ne pas perdre trop de temps étant donné le nombre de morceaux à enregistrer.

Comment est né ce disque ? Quelles ont été tes sources d’inspiration ?

Après Oui Oui, si j’avais mis de côté l’idée de re-faire des disques, l’envie de continuer à faire de la musique, elle, ne m’avait pas quittée et j’ai donc continué d’enregistrer des tas de maquettes souvent très rudimentaires mais parfois moins, comme je l’avais fait avant que nous ne fassions des disques avec Oui Oui sans objectif précis, tout ce « matériel » s’est donc accumulé pendant plusieurs années et lorsque l’opportunité s’est trouvée de piocher dedans pour faire un disque, j’ai pu le faire avec un relatif détachement qui tombait à pic pour venir alimenter cette envie d’un disque où les chansons et musiques ne seraient pas sacralisées, l’idée que je pourrais utiliser mes propres musiques comme un matériau extérieur. M’autoriser par exemple à stopper un morceau qui me plaît pourtant beaucoup au bout de 20 secondes si je considère qu’il tourne au remplissage. Et puis, il y a cette idée de collage que j’ai développée en image avant de la mettre en pratique avec les musiques de ce disque (l’image de la pochette est issue de toute cette série de collages), d’une certaine façon le disque est un reflet musical de ces images qui partent d’un matériau « pop » conçu pour séduire immédiatement et qui découpées, ré-organisées deviennent un véritable vocabulaire. Il y a aussi l’idée d’éparpillement et de multiplicité, la profusion permet de ne pas se focaliser sur tel ou tel morceau et de lui plaquer des missions impossibles telles que séduire les programmateurs de radios et les acheteurs de musique du monde entier.

As-tu des regrets par rapport à ce disque ?

J’ai comme petite philosophie personnelle de ne rien regretter, mais indépendamment de ce système de protection, non, concernant le contenu, malgré quelques errements relativement bénins, j’en suis très fier. Lorsque Bertrand m’a proposé de faire un disque sur le label qu’il venait de créer, il ne m’a pas fallu longtemps pour accepter, d’autant que les conditions étaient claires dès le départ. S’il s’agissait bien d’enregistrer un disque, cela n’aurait rien de commun avec mes expériences précédentes, les moyens seraient modestes, les perspectives de promotion et de distribution très incertaines, la proposition reposait sur une envie commune motivée par des raisons esthétiques. J’ai toujours été reconnaissant à Bertrand de m’avoir offert cette opportunité.

Etienne Charry
Les violonistes et les altistes
© Etienne Charry

Il n’a pas eu le succès qu’il méritait… Il n’est pas sorti trop tôt ?

Si l’élément prioritaire de ma démarche en entreprenant ce disque avait été la recherche d’un succès commercial massif, je n’aurais très probablement pas fait le même disque, ou bien je l’aurais fait au sein d’une major si l’opportunité s’était présentée mais comme je n’avais aucune envie de renouveler une telle expérience, le plus probable est que je n’aurais pas fait de disque du tout. Mais, ceci étant dit, conscient de l’implication financière du label, j’ai toujours veillé, au cours de l’élaboration de ce disque à mettre le meilleur de moi-même.
J’ai eu, depuis l’époque où ce disque a été fait, le temps de m’interroger sur la notion de succès, chacun peut avoir sa propre appréciation, en ce qui me concerne, après mes expériences discographiques avec Tricatel, j’ai entrepris d’explorer des façons de faire de la musique qui me correspondaient plus, c’est ainsi que durant plusieurs années, j’ai composé des collections de musiques que je proposais comme des pièces uniques, c’est à dire plus sur le modèle des arts plastiques que sur celui de l’industrie musicale. Il suffisait qu’une personne fasse l’acquisition d’un morceau pour le succès soit complet.
Pour revenir à 36 Erreurs, pour moi, l’essentiel est que ce disque existe, je suis heureux en le ré-écoutant 20 ans plus tard d’y trouver encore une fraîcheur qui me ravit.

Étienne Charry – 36 Erreurs

Quelles sont tes chansons favorites de ce disque ?

Comme il y a beaucoup de chansons sur ce disque, j’ai aussi pas mal de chansons que j’aime bien mais il y avait dans ce disque un ensemble de morceaux que j’avais appelé ‘Hit-parade’. Il s’agissait d’un enchaînement de morceaux d’artistes inventés sur le mode d’un classement du bas du tableau vers le haut, ce hit-parade était, je m’en rends compte, un prémisse du projet qui m’occupe maintenant depuis environ 4 ans, à savoir : Catalogue. Catalogue est un label imaginaire qui abrite à ce jour environ 70 artistes, certains d’entre eux vont jusqu’à exister physiquement via des prestations uniques filmées, c’est un espace de création sur mesure pour moi.

Et cette pochette ? A qui la doit-on ?

L’image de cette pochette, comme je le disais plus haut, est à la fois l’âme et l’enveloppe de ce disque. Elle reflète une fascination qui remonte à l’enfance devant la puissance de séduction des graphismes colorés des paquets de lessives et autres produits de consommation associés à la conscience, pour le dire en peu de mots, que ce décor manufacturé s’est, pour les citadins consommateurs que nous sommes, substitué à la nature. Je finirai par une auto-citation extraite de Par ici la monnaie, un des morceaux de 36 Erreurs : « C’est aux supermarché, que je chasse, que je pêche, que je me dépêche ».

Bertrand Burgalat

Bertrand Burgalat est le patron du label Tricatel qui a publié 36 Erreurs. Il a récemment publié l’excellent Les choses qu’on ne peut dire à personne.

Comment se portait Tricatel en 1997 ?

Nous avions publié l’album de Valérie et ma BO de Quadrille en licence, ainsi que des compilations au Japon. Mais je ramais pour sortir mon propre album et celui d’April March, pour lesquels on me menait en bateau. Celui d’Etienne ne pouvait plus attendre qu’un mec dans une autre boite percute, nous avons eu la possibilité de faire un deal de distribution avec Wagram. C’est grâce à eux, à Philippe Gaillard et à Stephan Bourdoiseau que nous avons sorti une compilation du label (Au coeur de Tricatel), une autre d’Eggstone (Ça chauffe en Suède) et 36 erreurs. Pour moi c’était faire tapis, engager toutes nos forces avec la croyance que les talents que nous exposions seraient reconnus à leur juste valeur. Pour Tricatel c’était donc une période très intense, et qui a fini par me mettre dans une situation délicate puisque mon compte et mon matériel a été saisi, et que j’ai payé longtemps ces premières années.

Le disque de Charry était-il une sortie « importante » pour le label ? As-tu eu l’impression de prendre des risques en le publiant ,? Sortir un disque, c’est forcément prendre un risque.

Le label a été créé pour la musique d’Étienne, que j’admirais, ainsi que pour celle de Louis Philippe et Grégori Czerkinsky, même si les choses se sont passées différemment avec ce dernier. C’était une sortie très importante et on y a mis toutes nos forces.

Qu’aimais-tu dans la musique de Charry ?

Tout ce que j’aimais dans la musique de Oui-Oui, dont j’étais fan, l’univers d’Étienne, entre Brian Wilson et Jean-Christophe Averty. Quand le groupe a splitté j’étais consterné, car, comme lorsque les Dragons et Natacha se sont séparés, je savais qu’il y avait une alchimie humaine et une dynamique qui serait difficile à retrouver. Même si les chansons étaient l’oeuvre d’Étienne, l’apport de Michel Gondry et de Nicolas Dufournet rendait le groupe unique. Étienne avait accumulé des tonnes de maquettes géniales, bourrées d’idées, pas faciles à mettre au propre car il lui fallait veiller à ce que le passage à une forme plus aboutie n’altère pas la fraîcheur de sa musique.

Quels sont tes meilleurs souvenirs de cette période ?

Etienne faisant une démonstration de nunchaku en plein concert ; la marionnette animée, un peu inquiétante, qui jouait la batterie sur un écran pendant les concerts ; le personnage de Franky Froc qui jouait de la guitare sur scène, un autre bidouillage génial d’Etienne qui avait confectionné cette silhouette en bois et lui faisait jouer de la guitare en rythme à l’aide d’un modulateur de lumière. Les soirées passées chez Charles Petit, du Village, et chez Hugues Wagner, à Mézy sur Seine. Il y avait là toute une bande de personnes brillantes, à cheval sur la musique et l’image. Maria Fors, Fifi Chachnill, Caro, Marc Bruckert, Christophe Salengro, les frères Poireaud, qui avaient mis la barre tellement haut pour le clip d’Hit Parade (il y avait même un passage en 3D) qu’ils n’arrivaient jamais à le finir.1

L’album n’a pas reçu le succès escompté. Pourquoi selon toi ?

Nous n’avions pas pris la mesure de l’inertie et de l’indifférence du milieu musical. Déjà, à l’époque de Oui-Oui, Philippe Manoeuvre avait été le seul à embrayer, dans Rock & Folk. Là, pareil, encéphalogramme plat. Libé avait classé Étienne et Oui-Oui dans une catégorie « Rock bébête » qui leur évitait de se remettre en question. Les Inrocks ne bougeaient pas. Je pense que la presse musicale, ici, avait tendance à indexer ses coups de cœur internationaux sur ceux du New Musical Express. Ils ne prenaient pas beaucoup de risques à défendre PJ Harvey et Mercury Rev. Mais pour la France ils étaient livrés à eux-mêmes et ne savaient trop quoi penser. C’est pour ça qu’ils se sont si souvent trompés, en encensant des choses qui ne le méritaient pas, et en passant sous silence un artiste majeur comme Etienne. Personnellement je l’ai pris comme un échec.

Etienne Charry - 36 Erreurs

36 Erreurs d’Étienne Charry est disponible via Tricatel.
Les photographies de l’article sont la propriété d’Étienne Charry.

Étienne Chardy - 36 erreurs

Tracklist : Étienne Charry - 36 Erreurs
  1. Fulgor
  2. Rayé du bottin
  3. Un Petit pas pour l’homme
  4. Je tue le temps
  5. La France est en vacances
  6. Jour J
  7. Prinsen Doppler
  8. Par ici la monnaie
  9. Train Train
  10. Melochoeur
  11. Tijuana
  12. Les gens que les voitures écrasent
  13. Sergent Crado
  14. Pauvre Sélénite
  15. Operitif
  16. La Bonne étoile
  17. Camping-gaz
  18. Passons l’été
  19. Solo Wah
  20. Pax Part 1 / Pax Part 2
  21. Hit-Parade
  22. . Les accords de formica
  23. Coeur Brisé
  24. Toute ma vie
  25. La Poi Poi guitare
  26. Le Monde est grand
  27. Pendue Au téléphone
  28. Prinsen
  29. Atomiquement vôtre
  30. Un grand bond pour l’humanité
  31. Lui
  32. Chawagawa
  33. Dehors
  34. Monza
  35. Huit heures
  36. Bye By

Pouet? Tsoin. Évidemment.

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Bertrand Burgalat

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