La Féline sort de sa cage

Signée en 2014 par Marc Collin sur son label Kwaidan Records alors que tout le monde la laissait en cage, La Féline avait mis tout le monde d'accord avec son premier album. Les directeurs artistiques qui lui avaient claqué la porte au nez pourraient avoir des regrets.

Avec Triomphe, ces mêmes directeurs artistiques vont pouvoir se les « bouffer ». Sur cette suite passionnante et complexe d’Adieu l’enfance, La Féline élargit sa palette et chasse sur un territoire beaucoup plus vaste. Si Fischbach crée le débat dans les milieux autorisés, La Féline devrait faire l’unanimité dans toute la société.

Senga

Pourquoi avoir choisi Senga comme premier single ?

Discographie

La Féline : C’est un morceau qui est un peu aux antipodes d’Adieu l’enfance, non seulement en terme de production — il y a des percussions, du saxophone, un groove qui entraîne — mais encore en termes de propos : Adieu l’enfance avait ce ton intimiste, cette émotion très intérieure, Triomphe est un disque extatique, de sortie de soi, avec même un fantasme (assumé) d’exotisme, d’aventure. Et Senga montrait bien cette rupture (avec sa face b, Trophée, titre important pour moi aussi). Le geste c’était de repartir dans la forêt, mais sans la frayeur de la petite fille.

La Féline – Senga (SK* Session)

Quand as-tu écrit cet album ? Qu’est ce qui a nourri ton écriture pendant cette genèse ?

La Féline : Je l’ai écrit assez rapidement, au cours de l’année 2015, en faisant des sessions d’improvisation régulières avec Xavier Thiry — qui a réalisé le disque. Je savais ce que je cherchais, ou plutôt, ce que je voulais libérer et qui avait été bridé jusque là : un rapport plus rituel à la musique (Le Royaume), plus charnel aussi, ou disons chaleureux, dans la veine du Parfait état en m’autorisant le voyage sonore, les explosions, et à faire revenir mes souvenirs les plus bizarres de voyages en Asie (La Femme du kiosque sur l’eau), des sentiments politiques aussi ( Comité Rouge). C’est une vision très forte, au fond, difficile à décrire, qui m’a guidée et me porte encore à chaque fois que je joue ces chansons ou que je parle d’elles.

Tu sembles t’être libérée d’un certain carcan sur ce disque. Quelle évolution ressens-tu par rapport à ton précédent album ?

La Féline : Disons que l’instrumentarium boite à rythmes/synthé qui était déterminant sur Adieu l’enfance a éclaté, laissé entrer des textures plus acoustiques, un son plus organique, et à partir de là, des compositions plus ouvertes. Je ne dirais pas que c’était un carcan sur Adieu l’enfance, le parti-pris était différent. Mais en effet, après un an de live, j’avais envie de repousser un peu les murs, et surtout plus du tout envie de jouer en groupe avec une boite à rythme, en solo d’accord, parce que la lutte femme-machine a quelque chose de risqué et de toujours excitant pour moi sur scène. Mais en groupe, là, avec ces nouveaux titres, c’est un bonheur de pouvoir ouvrir le spectre comme ça.

D’ailleurs quel(s) lien(s) fais-tu entre ton premier album et Triomphe ?

La Féline : J’imagine que le lien c’est la vie, moi qui change, et qui exprime ce changement… Après coup, je peux dire qu’il y a un geste artistique presque antithétique, et c’est un peu l’opposition que Nietzsche fait entre Apollon et Dionysos dans la Naissance de la Tragédie, entre un art de la mesure, de l’harmonie contrôlée, plutôt cérébral, et un art échevelé, plus charnel, incontrôlable. Mais de coté-là, les possibilités sont vastes, je n’ai pas fini d’explorer….

Tu es signée chez Kwaidan Records, le label de Marc Collin. Comment vous êtes vous rencontrés ? Pourquoi avoir signé avec ce label ?

La Féline : Je l’ai rencontré à mon retour des États-Unis en 2012, j’avais passé deux ans en Californie. Juste avant, j’avais joué aux Francofolies de la Rochelle, La Féline plaisait mais nous n’avions pas assez de possibilités pour travailler la scène et emporter le bout de gras. J’avais l’impression de ne jamais être assez dans le code attendu. Le détour par l’Amérique m’a fait du bien, même si je n’y ai pas fait que de la musique. Mais là-bas, j’avais un petit multi-pistes et j’ai commencé à composer toutes les chansons d’Adieu l’enfance, en français. J’ai senti que je touchais à une plus grande vérité que dans tout ce que j’avais pu faire jusque-là. Quand j’ai présenté ce disque aux maisons de disque, on me répondait souvent que c’était trop eighties, que l’esthétique des synthés, c’était fini en France (hum). Marc Collin de Kwaidan a été le seul qui ne l’ait trouvé ni trop « spé », ni trop « pop », mais juste beau, et il m’a signée en licence. L’expérience chez Kwaidan a été bonne : au moment de faire un nouveau disque, ça me semblait naturel de continuer avec eux.

La Féline – Triomphe

Comment t’es-tu impliquée dans la conception de la pochette de Triomphe ?

La Féline : Là aussi j’avais une vision qui s’imposait à moi. Je voulais une image auratique, proche de l’icône, et j’ai tout de suite eu l’idée de ces rayons d’or que l’on voit parfois dans les tableaux des peintres primitifs chrétiens — et que le graphiste Johann Lhuillery a parfaitement interprété. Pour moi, il y a quelque chose de doré dans ce disque (de même qu’Adieu l’enfance, dans ma tête, était bleu). Mais je ne voulais pas non plus un tableau, je voulais une présence photographique. Je suis fascinée par les photos d’Edward Sheriff Curtis, qui, à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle a pris en photo des anonymes de tribus indiennes aux États-Unis, des gens qui n’avaient vu et ne revirent probablement jamais d’appareil photo : ils ont ce regard à la fois étranger et saisissant, que nous avons forcément perdu, nous qui sommes si habitués à fixer notre image. Il y a quelque chose de non domestiqué qui, associé au dispositif très académique — la toile de fond, le cadrage, la tenue souvent d’apparat —, produit un effet assez exceptionnel. Je savais qu’il serait difficile de retrouver cette puissance, mais le photographe Alexandre Guirkinger a réuni toutes les conditions pour que quelque chose de cet ordre se passe : l’étoffe de fond, la photographie à la chambre 20 x 25, la lumière naturelle (si tu regardes bien en détail, sur la photo de couverture, on voit les grandes fenêtres que j’avais devant moi dans mes yeux)… C’est un photographe hors-pair. Et puis, j’ai eu la chance que le couturier Azzedine Alaïa me prête cet incroyable manteau…

La Féline - Séparés (Si Nous Étions Jamais)

Comité Rouge

Il va falloir tout me dire sur la chanson Comité Rouge. Il s’agit du tournant du disque. Enfin, il faut déjà réussir à ne pas appuyer sur la touche repeat de la chaîne hi-fi. Cette chanson est totalement obsédante !

La Féline : Ah, ah! Je suis contente que tu l’apprécies autant ! J’ai énormément de plaisir à jouer et à interpréter ce morceau : j’y trouve cette chaleur et cette extériorité que j’ai recherchée dans ce disque. Comme tu le ressens peut-être, le sujet en est politique, mais surtout, profondément humain. Je l’ai écrit dans la période sinistre qui a succédé aux attentats de novembre dernier : « compter les blessés des mois d’hiver… ». Le refrain « Merry Crisis, happy New Fear », est repris d’un slogan qu’on voit photographié sur un mur dans le livre À nos amis du Comité Invisible. Pour le reste, je te laisse méditer !

Comment as-tu travaillé avec Xavier Thiry, le producteur de cet album ? Il s’agissait d’un simple collaborateur ? Toi, présidente, lui premier ministre ?

La Féline : C’est plus qu’un collaborateur, c’est un ami très cher, avec qui je travaille depuis longtemps. Xavier a un rôle décisif, et en même temps, il est admis que c’est moi la chef, et que c’est ma vision que l’on suit. J’écris les textes, les parties de guitare, les mélodies de chant, mais on peut revenir ensemble sur les structures. Parfois je lui chante des parties de synthé, ou des rythmes, je lui décris des sons, et il me connaît tellement bien qu’il trouve ce que je veux entendre, et souvent en mieux, avec sa pâte particulière, que je commence aussi à bien connaître et peux anticiper en retour. Sur certains morceaux, j’ai un point de départ plus affirmé, sur d’autres, on avance ensemble : c’est un alter ego très important pour moi. Je sais que je peux compter à la fois sur son empathie et sur sa distance, son talent d’arrangeur et sa finesse d’écoute, son amitié et son professionnalisme. Je n’aurais pas mené Triomphe aussi loin sans lui.

Tu joues à La Maroquinerie au mois de mars. Quel effet cela te fait d’être en tête d’affiche dans cette salle ?

La Féline : Je suis contente, même s’il y a un peu d’appréhension, parce que j’aimerais que la salle soit pleine et qu’on ne sait jamais. Je crois que c’est un disque exigeant mais au fond assez amical, fait pour être partagé par plein de gens. J’espère qu’il seront au rendez-vous à la Maroquinerie et lors de la tournée qui va suivre!

Triomphe de La Féline sera disponible le 27 janvier 2017 via le label Kwaidan Records.
la Féline sera en concert les :

  • 04 février 2017 à l’IBOAT (Bordeaux)
  • 09 février 2017 au 106 (Rouen)
  • 16 mars 2017 à La Maroquinerie (Paris)
  • La Féline - Triomphe

    Tracklist : La Féline - Triomphe
    1. Senga
    2. Le Royaume
    3. La Mer Avalée
    4. Trophée
    5. Samsara
    6. La femme du Kiosque sur l’eau
    7. Comité Rouge
    8. Séparés
    9. Le Plongeur
    10. Gianni
    11. Nu; jeune; léger

    Retrouvez les articles de La Féline :
    La Féline – SK Session
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