[1998 – 2018] Jason Molina, The Rules Of Absence

Jason Molina © Steve Gullick
Jason Molina n'est plus depuis maintenant 5 années mais ses chansons seront avec nous pour l'éternité. Avant d'atteindre un public "assez large" avec des grands disques de rock rugueux comme The Magnolia Electric Co, Jason Molina et sa chimère Songs; Ohia écrivaient des chansons totalement singulières.


Impala, le deuxième album de Song: Ohia a aujourd’hui 20 ans et son écoute est toujours un bouleversement. Avec une guitare armée de 4 cordes et accompagné de Geof Comings, Molina ouvre son cœur et nous ouvre des plaies qui ne se refermeront jamais. Avec Impala, on découvre un auteur qui cherche son son (quête qui se terminera dans le studio d’Albini) mais qui a déjà une sacrée plume. Passant l’héritage du Loner au mixer, Molina est en 1998 dans l’ombre des Palace Brothers… Après Impala, Molina rencontrera Aidan Moffat (Arab Strap) et Alasdair Roberts et rationalisera son écriture.
Retour sur ce disque de transition avec Geof Comings, membre de Songs: Ohia.

Comment as-tu rencontré Jason Molina ?

Geof Comings : J’ai grandi à Oberlin (Ohio) qui est la ville où Jason est allé à l’université. Il avait un boulot dans un des bars de la ville et je lui parlais pendant qu’il travaillait. Nous aimions tous deux le même genre de musique et on a commencé à traîner ensemble quand il sortait du boulot. À ce moment-là, il était encore bassiste et jouait des chansons étranges, pas très différentes de celles d’Impala, à la basse. J’étais aussi bassiste et j’ai toujours pensé que son style était très unique et étrange. Nous passions beaucoup de temps à traîner et à boire des cafés dan un restaurant du coin. Il commandait souvent une pile de pancakes, les coupait en un tas de triangles (mais laissait tout empilé comme un « layer cake ») et versait une bouteille de sirop d’érable sur toute la surface. Ou bien il apportait une barre de chocolat bon marché et la partageait avec moi comme s’il partageait quelque chose de très rare, de précieux et decher. Pour lui, les actes de générosité extrême étaient souvent faits avec des choses de très peu ou pas de valeur.

Discographie

Où avez-vous enregistré ce disque ?

Nous avons enregistré l’album à Louisville, Kentucky. Eric Stoess l’a enregistré chez lui. Dans son salon je pense. Je n’ai jamais su pourquoi nous enregistrions dans cet endroit là, mais cela était sans doute lié aux conditions financières. Ce n’était pas très cher. Je ne pense pas qu’il ait vraiment eu une idée du son qu’il espérait obtenir… Pour cela il faut attendre qu’il commence à travailler avec Steve Albini. Sur ce disque, il s’agissait plus de capturer le son plutôt que d’en obtenir un en particulier.

Combien de temps-cela vous a pris ?

Je pense que cela nous a pris une journée. On a branché nos instruments en milieu de matinée, enregistré jusqu’au milieu de l’après-midi et on a ensuite écouté les premiers mixs. Je crois qu’Eric a fait le mix sans réelle contribution de notre part. Cela semble très étrange maintenant, mais nous avons enregistré et quitté le studio. C’est une démarche assez unique…

Ce fut facile d’enregistrer ce disque?

Tous les albums étaient faciles parce que nous enregistrions tout en une prise ou deux. Pas plus. Il y a très peu d’overdubs voire aucun. Les chansons sont assez faciles à jouer. En disant cela, je veux dire qu’elles ne sont pas techniques, à aucun moment tu ne peux trébucher et être forcé à recommencer. L’essentiel était toujours d’avoir une ambiance car c’était à peu près la clé de sa musique. Surtout sur Impala je pense.

Comment avez-vous trouvé le son d’Impala ?

Je décrirais le son de l’album comme celui du salon d’Eric. Il avait soit vidé la pièce pour nous ou alors il ne possédait aucun meuble. La batterie a été enregistrée avec des micros frontaux posés sur chaque mur de la pièce. Il n’y avait aucun micro sur la batterie. Le résultat de cette configuration est que l’enregistrement a un son ambiant immense. Jason utilisait un petit ampli de basse Ampeg en guise d’ampli et une guitare électrique avec 4 cordes. Tout a été enregistré en live et enregistré sur un 8 pistes. Eric avait un orgue à pompe qui a été utilisé sur une chanson ou deux.

Quelle est ta chanson préférée sur ce disque ?

J’aime certaines chansons pour différentes raisons. This Time Anything Finite At All est ridicule. Je pense que c’était Jason qui essayait d’écrire une chanson de Sade et il en était très proche. Il a joué du clavier dessus, et ça fonctionne. Il a également montré ses compétences avec la pédale wah wah… Je ne savais pas qu’il en possédait une. Il y a un shaker dans cette chanson et j’ai utilisé une bouteille de graines de pavot prise dans la cuisine d’Eric pour cela.
Program and Disjunction est incroyable parce qu’elle montre ce que Jason pouvait faire avec quelques accords et un équipement merdique. Il n’avait que quatre cordes à sa guitare mais a il trouvé des accords ouverts étranges qui combinés à la réverbération de l’ampli faisaient un son plein.
Just What Can Last montre bien que les fans du groupe pouvaient endurer pas mal de choses. C’est incroyable ! Cette chanson a définitivement capturé ce que Jason et moi avons fait ensemble pendant quelques années. Nous jouions tous les deux d’étranges chansons éparses qui n’appartenaient à aucun genre.

Songs: Ohia – Just What Can Last

Program: The Mask est un bon exemple, je pense, de la façon dont ses paroles étaient très « old school ». Elles appartenaient plus à la génération de ses grands-parents qu’à la sienne.

J’adore la plupart de ces chansons parce qu’elles ont été écrites avant la sortie de son premier album. Elles datent même d’avant son premier single. Je l’ai poussé à les enregistrer juste pour avoir une trace avant qu’il ne les oublie en passant à autre chose.

Et ton meilleur souvenir ?

L’intimité de ce moment. Nous étions deux personnes qui jouions des chansons brutes avec des arrangements bruts. Nous étions jeunes et nous venions de débuter et c’était vraiment génial de pouvoir aller à Louisville chez des gars et faire un disque. Savoir en plus qu’il serait édité en vinyle et en CD… Et nous ne savions pas que des gens l’achèteraient. On en vendait en tournée. Ce disque, c’est la joie de faire ce que nous avions peur de ne jamais pouvoir faire. Voilà ce que j’ai préféré.

Impala de Songs: Ohia est disponible chez Secretly Canadian.

Songs: Ohia - Impala

Songs Ohia - Impala

Tracklist : Songs: Ohia - Impala
  1. An Ace Unable To Change
  2. Easts Heart Divided
  3. This Time Anything Finite At All
  4. Hearts Newly Arrived
  5. Till Morning Reputations
  6. One Of Those Uncertain Hands
  7. A Humble Cause Again
  8. The Rules Of Absence
  9. Just What Can Last
  10. Program: The Mask
  11. Structuring: Necessity
  12. Separations: Reminder
  13. Program And Disjunction

English text

How did you meet Jason Molina ?

I grew up in Oberlin, Ohio which is the town in which Jason went to college. He got a job at the coffee in town and I would talk to him while he was working. We both liked similar music and eventually started hanging out when he got off work. At that point he was still a bass player and played strange songs, not unlike those on Impala, on bass. I was also a bass player and thought his style was very unique and strange. We would spend a lot of time hanging out and drinking coffee at the local diner. He would often order a stack of pancakes, cut them into a lot of skinny triangles (but left all stacked up like a layer cake) and pour a bottle of maple syrup over the whole thing. Or he would bring in a cheap chocolate bar and share it with me as if he were sharing something very rare, precious and expensive. For him, acts of extreme generosity were often performed with things of very little to no value.

Where did you record this album ?

We recorded the album in Louisville, Kentucky. Eric Stoess recorded it at his house. In his living room I think. I never knew why we were recording at any particular place, but it probably had something to do with being as cheap as possible. Up till he started recording with Albini I don’t think he really had an idea of the sound he was hoping to get- it was more about capturing sound than achieving a particular sound.

How did long it take you ?

I think it took a day. showed up mid-morning, recorded till mid-afternoon and then listened to some very rough mixes. Eric I believe did the mix with no real input from us at all. That seems very strange now, but we recorded and left I think. It is so sparse that there isn’t a whole lot of messing around with it that can be done.

How easy was the recording process of this LP ?

All of the albums were easy because everything was pretty much one or two takes of each song and that was it. Very few, if any, overdubs. The songs are pretty easy to play- I mean they aren’t technical. There are no tricky spots to trip you up and force you to start over. The main thing was always getting the mood, because that was pretty much the key to the music. Especially on Impala I think.

How did you find the sound of Impala ?

I would describe the sound of the album as « Eric’s Living Room ». He either emptied out the room for us or he didn’t own any furniture in the first place. The drums were recorded with one boundary microphone on each wall of the room with no direct mics on the drums. The result of that mic setup is that the recording has a lot of room sound. Jason was using a small solid state Ampeg bass amp for his amp, and a harmony electric guitar with his 4 string set up. Everything was recorded live and recorded on a cassette tape 8 track. Eric had a total piece of crap pump organ that was used on a song or two, and I think it was not very closely mic’d. Lot’s of room sound is the sound overall.

What’s your favorite track of this LP ?

I like different tracks for different reasons. This Time Anything Finite At All is ridiculous. I think that it was Jason trying to write a Sade song, and he came very close. He played the keyboard on it, and it rules. He also showed skills with the wah wah pedal that I did not know he possessed. There is a shaker in that song, and I used a bottle of poppy seeds from Eric’s pantry for that.

Program and Disjunction is amazing because it shows how much Jason could do with a few chords and some shitty equipment. He had 4 strings on the guitar, but found weird open chords that combined with the reverb on the amp made such a full sound.

Just What Can Last shows what fans of the band are willing to put up with. What a downer that song is. But it’s amazing! This song definitely captured what Jason and I did together for a few years. Just the two of us playing strange sparse songs that didn’t really belong in any genre.

Program: The Mask is an example, I think, of how his lyrics were very old school, belonging more to his grandparents generation than his own generation.

I love most of these songs because for the most part they were written before any of his albums came out. They pre-date his first 7″. I pushed him to record these songs just to get them recorded and released before he moved on and forgot about them.

What’s your favorite memory about this recording process ?

The intimacy of it. Two people playing bare bones songs with bare bones instrumentation. It was still early on in the bands existence and we were young, it just felt so amazing that we could drive to a Louisville to some guys house and make a record. And that it would then be released on vinyl and cd. And then people that we didn’t know would buy it. And we would sell it- on tour. The joy of doing what we were afraid we would never get to do. That is my favorite part.

Pouet? Tsoin. Évidemment.

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