Le spleen de From Your Balcony

© REVELISE ROHART
Nicolas Swierczek et ses From Your Balcony viennent de publier un grand disque. Avec pour allié le temps, cet élément que l'on préfère dérouler à tout-va plutôt que de le laisser travailler, ce groupe lillois laisse libre cours à sa mélancolie et poursuit un idéal pop qu'il arrive à atteindre.

From Your Balcony a été créé il y a dix ans et voici donc son premier « vrai » album. Pourquoi avoir pris tout ce temps ?

Nicolas Swierczek : Il y a pas mal de raisons… d’abord, parce que je suis quelqu’un d’extrêmement lent, c’est presque pathologique. J’aime bien cette idée de Thomas Feiner, entre 2010 et 2016 je crois, de ne sortir qu’un morceau par an. De le travailler et le retravailler jusqu’à l’os, pour obtenir quelque chose qui s’approche de ce que tu as en tête. Ça n’arrive jamais, évidemment, mais au final je pense que je prends plaisir à essayer certaines choses, à partir dans des directions différentes, histoire de voir un peu où ça mène. Quitte à bosser des semaines sur une version qui finira à la corbeille.
Ensuite parce que c’est douloureux de lâcher des chansons sur lesquelles tu as beaucoup travaillé, de te dire que tu ne pourras plus rien changer. C’est confortable de les garder pour toi, tu ne risques rien. Comme je suis quelqu’un d’assez anxieux, la question de la réception publique m’angoisse un peu. Enfin, quand je dis « publique », j’ai bien conscience que l’audience est ultra limitée. Mais quand même, c’est très important pour moi. Je ne sais pas si j’arrive à croire ces musiciens que te disent qu’à aucun moment, ils ne pensent à la réception des médias, du public, quand ils travaillent sur un album…
Au final, c’est au moment où Jean (Fleury) et Aurélien (Gainetdinoff) ont intégré le projet que les choses se sont débloquées. L’album leur doit beaucoup.

From your balcony – Above my head

Comment s’est déroulé l’enregistrement de ce disque. C’était quelque chose d’acté ? Une vraie volonté ? Ou l’album est né d’une addition de sessions ?



Non, c’était quelque chose d’acté, même si en route j’ai laissé tomber pas mal de chansons, qui ont été remplacées par d’autres. Je suis tombé il y a quelques jours sur une feuille A4, pliée en 8, dans la poche d’une ancienne veste. Sur cette feuille, que j’ai dû griffonner dans le métro en 2013 ou 2014, j’avais écrit la liste des douze chansons qui devaient se retrouver sur l’album. Bon, au final, je me suis rendu compte que seuls quatre de ces morceaux avaient résisté à l’épreuve du temps, pour figurer au tracklisting de l’album version 2021.
Du coup, effectivement, la question de la cohérence entre ces chansons, enregistrées sur une longue période, dans des conditions différentes, s’est très vite posée. Il y a un moment où je pensais même repartir de zéro, tout réenregistrer, histoire de donner la même couleur à ces morceaux. Et puis Jean m’en a dissuadé, en me proposant plutôt de travailler sur le mix, le choix et l’ordre des chansons. Sans son intervention, je crois que je serais encore dessus, en me disant que 2023, après tout, c’est une échéance raisonnable pour sortir l’album.

Où avez-vous enregistré ce disque ?


Essentiellement à la maison, pour les prises de voix et de piano. J’ai besoin de savoir que je peux refaire les prises à l’infini si nécessaire. Etre dans un studio, enfermé dans une cabine, un casque sur la tête, avec l’ingé son du studio qui lève le pouce, j’ai déjà essayé et ça me bloque complétement. Tu te dis que tu n’as droit à qu’à deux ou trois prises, dans un contexte assez stressant.
Personnellement, c’est le genre de situation dans laquelle je suis incapable de me laisser aller, je suis trop dans le contrôle pour que ça donne quelque chose d’intéressant. Je préfère de loin un son plus perfectible, j’ai conscience de l’euphémisme, mais une interprétation peut être un peu plus sincère, sans cette pression que je suis profondément incapable de gérer. Pour le reste, la plupart des prises de batterie ou de guitares acoustiques ont été faites en studio, à Paris ou Roubaix.

Il y a d’abord cette pochette. Pourquoi avoir choisi cette photo ? Et Pascal Blua ?


Je pense que j’ai passé des semaines entières à chercher sur le net une photo qui puisse coller à ce que j’avais en tête. Je voulais quelque chose de cinématographique, en noir et blanc, avec du grain. Dans l’idéal une photo de couple, ensemble sans l’être vraiment. Une sorte d’amour distancié, dans lequel transparaissait une affection, mais aussi une certaine solitude. « Beautiful alone », quoi. Quelqu’un sur facebook m’a fait remarquer la similitude entre cette pochette et celle du premier album d’Unbelievable truth, que j’adore. Peut-être que c’est effectivement ce qu’inconsciemment, j’avais en tête.
Quand je suis tombé sur cette photo de Christer Strömholm, il y a eu cette évidence. J’ai contacté son fils, qui gère le catalogue de papa, et à ma grande surprise, il a été d’accord pour que l’on utilise cette photo. Il m’a juste mis en garde, « cette photo a déjà été utilisée pour la couverture d’une version espagnole d’un bouquin de Modiano, Dans le café de la jeunesse perdue. J’aime tellement ce bouquin que la mise en garde ressemblait plutôt à une confirmation.
Je connaissais Pascal, dont j’admire le travail, à travers ses réalisations pour The Apartments ou Matthew Edwards (il y a l’agrandissement de la pochette de No song no spell no madrigal qui trône dans mon salon). Quand je me suis décidé à le contacter pour la pochette de Beautiful alone, je n’avais pas encore trouvé cette photo de Christer Strömholm. Il a commencé à travailler sur ce qui s’est révélé être une fausse piste. Quand je lui ai demandé, tout gêné, s’il accepterait de repartir de zéro à partir de cette nouvelle idée, il m’a répondu, de suite : « on s’en fout du travail, le principal, c’est le résultat ». S’en sont suivies des discussions techniques, mais surtout artistiques. Je pense que c’est ce qui m’a le plus surpris : j’ai vraiment eu l’impression d’échanger avec quelqu’un qui composait quelque chose. Cette impression de parler à un artiste plutôt qu’à un technicien.
 

Et puis il y a ces chansons qui doivent autant à la pop française qu’à la pop du Royaume Uni. Quelles sont tes influences ?

Tiens, c’est marrant que tu notes des influences françaises, parce que je n’en ai vraiment pas conscience. Ce qui m’intéresse le plus dans cette pop à la française, c’est cette capacité à convertir une évidence mélodique anglaise dans la langue de Molière. A ce jeu, c’est vrai que Daho, Sheller, les Innocents, Hubert Mounier ou bien plus récemment Olivier Marguerit sont les artisans les plus doués que je connaisse.
Ça me fait penser à cette chanson que Tom Rosenthal, un artiste que j’admire pour sa capacité à rendre les choses les plus graves, les plus lourdes, très légères, presque fluettes, à travers un second degré que seuls les anglais savent manier aussi bien. Ce Tom Rosenthal en question, donc, s’est pris d’affection pour la culture française, et pour notre langue. Il s’est mis en tête d’écrire une chanson en français. Le résultat s’appelle « Rien que toi et moi », et c’est une leçon de songwriting. C’est un des trucs les plus incroyables chanté en français que j’ai entendu ces derniers temps, et ça vient d’un père de famille anglais qui vient seulement de découvrir notre langue. Bref, je dis ça, mais j’ai aussi eu la chance d’écouter les démos du projet d’Aurélien, San Malo, et en matière d’évidence mélodique transcrite en français, c’est ce que j’ai entendu de plus excitant depuis longtemps.
Du côté britannique, il y a énormément d’influences. Des Smiths à Jarvis Cocker, de Neil Tennant à Neil Hannon. Ces compositeurs dont j’aime tant le lyrisme, qui ont tous ce don incroyable de transcender la banalité du quotidien en moments presque poétiques.
Au niveau de la production, ce qui m’a le plus bluffé dernièrement, ce sont les derniers albums de James Blake, Sohn ou Serpentwithfeet. Cette soul lancinante, dont les beats semblent travaillés jusqu’à l’usure sur ordinateur, mais étonnamment vivante, présente, sensible, me touche énormément.

Te rappelles-tu de la première chanson de l’album que tu as écrites ?


Oui, je pense qu’il s’agit de Above my head, qui est passée par pas mal de versions. La première d’entre elle, c’était une sorte de slow à la rythmique très eighties, franchement atroce. Et puis un jour, Geoffrey (Sebille) a trouvé cette partie de basse sur le refrain, que j’ai trouvé géniale. Mais elle ne fonctionnait qu’avec un bpm très réduit, j’ai donc tout ralenti, tout dépouillé. Je savais être sur le fil avec cette chanson, les arrangements devaient être très soignés pour que cela passe. J’ai donc cherché longtemps, jusqu’à trouver ces lignes de cuivres sur les refrains et le pont orchestral… bref, c’est une chanson à laquelle je tiens beaucoup. Même si c’est un calvaire à interpréter sur scène. Je me souviens, lors de ma première tournée, m’être dégonflé tous les soirs lorsqu’il s’agissait de la jouer. A force, Geoffrey, qui m’accompagnait sur scène, finissait par la sauter de lui-même sur la setlist.

On est surpris d’entendre Sagan et Malle. Pourquoi les avoir fait apparaître ?

The fire within, c’est le titre anglais de ce film magnifique de Louis Malle, Le feu follet. L’histoire de ce dandy qui, pendant les 48 heures qui précèdent son suicide, passe voir une dernière fois les gens qu’il a aimés. Je ne peux m’empêcher de trouver belle, au fond, cette idée romantique, cet extrémisme, qui pousse à préférer mourir plutôt que se regarder vieillir et perdre l’envie. L’enthousiasme. La capacité à vivre vraiment. Si c’est être adulte que de prendre les choses moins à cœur, alors ça n’est peut-être pas si intéressant que ça, au final, d’être adulte.
Le héros de Louis Malle sent bien qu’il a perdu cette flamme. Il ne cherche pas d’artifices pour tenter de retrouver une partie de l’intensité qui l’animait plus jeune. Il l’accepte, et ne voit plus de raisons de continuer à vivre. Ce qui me hante dans ce film, c’est la dureté de son propos, mais aussi cette douce mélancolie, à chaque plan, sur le visage de Maurice Ronet. Comme si ce n’était pas si grave. Comme si, de toute manière, les plus belles choses à vivre avait déjà été vécues. Alors à quoi bon.
J’avais cette chanson, que je ne parvenais pas à terminer, dont le sujet et le titre faisaient directement référence au film. Puis je suis tombé, un soir d’insomnie, sur cette émission qui date de 1973 je crois, dans laquelle Louis Malle parle du feu follet et de son interprétation du roman de Pierre Drieu la Rochelle qui l’a inspiré. Entendre un réalisateur parler de son film, je trouve ça souvent décevant. Ça frustre, ça peut donner une clé de lecture différente de la tienne, casser la magie de tout ce qui est non-dit. C’est un peu intrusif à la limite, quand l’auteur te dit de quelle manière un film qui fait partie de toi, de ton intimité, doit être interprété. Mais entendre Louis Malle parler du feu follet, ça m’a fait quelque chose. J’ai rarement entendu un réalisateur parler aussi bien, aussi justement, de son travail. J’ai pris cette interview comme une claque, gigantesque. Alors, comme une évidence, je me suis dit que ces mots finiraient quelque part. Au départ, je voulais sampler certaines phrases, puis je me suis dit que le propos était tellement fort, qu’il méritait un développement long. J’ai rajouté des sons de violons dissonants, de cordes que l’on gratte, que l’on triture. Et j’ai su que je venais, enfin, de terminer ce morceau.

Si tu devais utiliser un seul mot pour définir ce disque… Lequel choisirais-tu ?

Je ne sais pas, un antonyme de « rigolo », ou quelque chose du genre j’imagine…

From Your Balcony - Beautiful Alone

Beautiful Alone de From Your Balcony est disponible sur le bandcamp du groupe.

From Your Balcony - Beautiful Alone

Tracklist : From Your Balcony - Beautiful Alone
  1. Beautiful alone (prelude)
  2. Maria
  3. An old polish heart
  4. Until it hurts
  5. The party
  6. Above my head
  7. The fire within
  8. Healing (interlude)
  9. Beautiful alone
  10. How to avoid people

Pouet? Tsoin. Évidemment.

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