[1998 – 2018] Notre amour pour Melville

Il y a des disques qu'on a beaucoup écoutés et qui ne comptent pas. Il y a aussi des disques qu'on a écoutés au final assez peu mais qui ont beaucoup compté. Est-ce que l'amour restera ? fait partie de la seconde catégorie. Ce disque, enfant prodige des Melville, combina le sens du détail des fans de pop anglaise des 80's à l'efficacité sonore des 90's.

Alors que tous les lycéens de France et de Navarre n’en avaient que pour Noir Désir, Melville fut une issue de secours pour tous les mélancoliques des cours de récréation et un rayon de soleil pour ceux qui s’ennuyaient au fond de la classe pendant les cours de latin. Voir passer le clip de Qu’importe Ce Qu’on Dit sur M6 le matin avant d’aller en cours était un de ces petits bonheurs éphémères qui faisaient que la journée commençait bien. Et écouter ce disque en 2018 rend toujours aussi heureux. Les textes de Tellier ont gardé leur saveur et la musique n’a pas bougé. Alors que bon nombre de ses contemporains sont partie rejoindre l’EHPAD réservé aux disques usés, Est-ce que l’amour restera ? a réussi à garder le charme de sa jeunesse.

L’unique disque de Melville renvoie à une époque où l’industrie musicale était à son firmament économique. A la fin des années 90, on vendait du disque comme ce n’était pas permis et les labels engrangeaient des bénéfices plus que conséquents. Deux ans avant la sortie de ce disque, R.E.M. venait de signer un contrat record de 80 millions de dollars avec Warner pour sortir cinq albums. La même année naît le label V2 dont la paternité revenait au très médiatique Richard Branson. Et chez V2, on avait de l’argent et du goût. On tentait d’imposer les High Llamas au Japon en y rééditant Gideon Gaye, on mettait en studio les Stereophonics (qui avaient trois bonnes chansons) et les Addict (qui avaient une bonne chanson) et on propulsait en haut de l’affiche Heather Nova. Avec V2, la géographie devenait folle. Heather Nova venait tout droit des Bermudes, Billy Crawford (oui, il fallait quand même rentrer un peu d’argent) était originaire des Philippines, les Stereophonics du Pays de Galles et les Melville de France.

Discographie

Avec le recul, on se dit que Melville et V2 dirigé par Thierry Chassagne étaient faits pour se rencontrer. Chassagne, tourangeau comme Tellier, misa gros sur Melville. Après les avoir envoyés en Angleterre et en Belgique enregistrer leurs chansons, Chassagne réserva le studio parisien Gang pour que le disque soit mixé avec Phil Vinall, le sorcier du son de The Auteurs. Créés en 1974 par Claude Puterflam, les studios Gang accueillirent Michel Berger et Jean-Jacques Goldman avant d’être le repère de Daft Punk et de Air. Quand on sait que Vinall a rendu maléfique n’importe quelle chanson de Haines alors que The Auteurs n’avaient qu’un guitariste… Imaginez avec les Melville et leurs deux guitares. Retour sur l’enregistrement de ce disque avec le groupe et Phil Vinall.

Phil Vinall

www.philvinall.com

Vinall est un producteur anglais. Il est le producteur historique de The Auteurs et a travaillé avec Placebo, Deus et Radiohead pour ne citer qu’eux.

Comment as-tu rencontré les membres de Melville ?

Phil Vinall : C’est le groupe qui est venu me chercher. Mon travail avec Luke Haines et Placebo les avait séduits. On s’est rencontré quand je mixais le disque Baader Meinhoff de Luke Haines.

Melville – Les résolutions

Comment s’est passé l’enregistrement de ce disque ?

Le groupe a enregistré le disque de son côté. Je suis intervenu à la fin pour le mix et pour écouter leur travail. Je suis presque sûr qu’ils sont allés au Royaume-Uni pour enregistrer une partie du disque. Je ne me souviens plus du nom du studio par contre. Je suis désolé de ne pas m’en rappeler. J’ai commencé à travailler sur ce disque au studio Gang.

Quels sont tes meilleurs souvenirs liés à ce disque ?

Bien… Les souvenirs ont un certain talent pour disparaître. Je me rappelle de Paris en plein hiver. La ville était prisonnière des glaces. Il faisait froid ! Les fontaines avaient même gelé. Je me souviens avoir marché tous les jours dans le Jardin des Plantes pour aller au studio. J’ai aussi adoré l’expresso que je pouvais me faire aux Gang studios. Le problème est que j’en buvais trop et que je n’ai jamais aussi mal dormi. J’avais des yeux dans un état… Les gens croyaient que je pleurais… Alors que non.

Comment avez-vous trouvé le son de cet album ?

Eh bien… Nous retournons à l’époque de l’analogique. Je me souviens que tout avait été enregistré avec soin notamment les voix.

Quel équipement as-tu utilisé ?

Encore une fois, nous remontons 20 ans en arrière, donc c’est un peu difficile d’être précis. J’en suis désolé. Je peux parler des studios Gang. C’était un studio classique avec une belle et grande histoire. Le propriétaire était une personne merveilleuse qui avait un goût très sûr. Je me souviens aussi que Daft Punk jouait à côté. Et je ne pouvaient pas aller les voir car je travaillais sur Est-ce que l’amour restera ?. Maintenant je comprends pourquoi ils ont acheté ce studio. Bon choix les gars.

Étienne Dutin

Étienne Dutin était le guitariste de Chelsea. Après la fin de Melville, il deviendra le guitariste des 49 Swimming Pools.

Cela me fait plaisir de pouvoir discuter avec toi car le disque de Melville est un disque de guitariste.

Étienne Dutin : C’est vrai. C’est un disque qui est venu de la guitare. Les titres de l’album viennent des plans de guitare d’Emmanuel, de Pierre ou de moi. La chanson Mauvais Homme, par exemple, vient d’un plan de guitare de Pierre.

Vous aviez un son très identifiable. Ce n’est pas le début des 90’s… Ce n’est pas les années 2000 non plus.

Nous avions été influencés par les Pixies pour les années 80, Nirvana et Blur pour les années 90. Sans le savoir, tu vas souvent dans l’air du temps. Alan Gac (Rosebud) voulait produire un quatrième album de Chelsea. ll nous avait réservé un studio à Léon dans le Sud Ouest de la France. Le son de Melville commence dans ce studio. Notre son vient aussi tout bêtement de notre local de répétition. Nous avions deux exigences : celle de chanter en français et celle d’avoir un son plus rock. Sur Chelsea, Manu chantait surtout en anglais . A cette époque, c’était nous condamner d’avance. Les radios ne passaient que des groupes qui chantaient en français.

Te rappelles-tu du dernier jour de Chelsea ?

Les choses se sont faites progressivement. Olivier, le batteur de Chelsea, s’intéressait de moins en moins à la batterie et au groupe. Sur le dernier disque de Chelsea, il est presque plus programmateur et séquenceur que batteur. On l’a vu s’éloigner progressivement. Ce qui ne faisait aucun doute, c’est que nous voulions continuer, et dans un premier temps on a continué à trois. Olivier travaillait pour Islands (puis Barclay) et je crois qu’il vivait mal le fait de faire les deux : employé de l’industrie musicale et musicien. Olivier étant parti, continuer Chelsea n’avait plus de sens, cela devenait de fait une autre histoire.

Vous avez trouvé votre son entre 1994 et 1996 ?

Oui, ça doit être ça. Il résulte de nos répétitions et de nos concerts.

Vous avez vendu 15000 exemplaires selon différents sites Internet. Tu espérais que Melville vende plus ? Moins ?

C’est marrant que tu me demandes ça car je n’en avais pas la moindre idée. Le chiffre n’est pas déconnant… On doit s’approcher de ça. Nous, on sortait des années Chelsea avec une notoriété relativement faible, donc c’était déjà un résultat. A un moment, on a senti que cela aurait pu décoller. Probablement pas avec le premier album, mais il se passait quelque chose. On avait construit quelque chose et les gens nous connaissaient. Il y avait une réponse du public. Il faut dire que nous avons fait de bonnes premières parties. Les choses prenaient gentiment.

Quel est ton meilleur souvenir de l’enregistrement de l’album ?

Le séjour en Angleterre aux Chapel Studios. C’est à cet endroit que le son de Melville prend vraiment corps. Et la touche finale viendra avec le mix de Phil Vinall. Nous avons refait par la suite des morceaux aux studios ICP à Bruxelles. Si tu écoutes les deux versions de certains morceaux, tu entends deux visions… Pour moi celle de The Chapel l’emporte.

Et ton meilleur souvenir des concerts de Melville ?

Pas les premiers, car nous n’avions pas toujours un bon son. Notamment moi, je jouais sur des amplis de location car je résidais en Angleterre et on répétait à Paris dans des locaux équipés… Alors, on a mis un peu de temps à avoir un son optimum en concert. On a vraiment progressé après avoir travaillé quelques jours au Plan à Ris Orangis.

Le concert en première partie de Blur au Zénith de Paris est-il ton meilleur souvenir ?

Ah oui. C’est un bon souvenir. Tu ne joues pas tous les jours au Zénith de Paris ! Mais nous n’avons pas pu faire de balances. Blur a répété et fait un boeuf tout l’après-midi. Remarque, c’est sympa de voir jouer Blur… Mais c’était un moment assez stressant et nous avons fait un mini linecheck quand le public rentrait. Et je suis tombé en panne d’ampli, ça ne s’invente pas !
Les bons souvenirs, c’est La Route du Rock, Le Plan avec Diabologum, et puis la tournée avec Stereophonics. Il y a eu deux concerts au Bataclan en fin de tournée. Là, nous avions un son assez abouti.

Et quels sont tes morceaux préférés ?

Que le Vent T’emporte. Mais pas forcément la version de l’album… Elle a été faite aux studios ICP. Je préfère la version enregistrée aux Chapel Studios. Il y a aussi Mauvais Homme, et deux morceaux sortis sur nos premiers EPs : Petite Suite D’Évènements Malhereux et De Ce Monde.

Luc Durand

Luc Durand était le batteur de Melville. Après la fin de Melville, il enregistre avec Emmanuel Tellier l’excellent
Quinacridone Rose de La Guardia. Il a travaillé notamment avec Sally Nyolo ou Marousse. Il joue actuellement dans OAKS.

Tu as rencontré Melville grâce à Stéphane Poitevin si je ne me trompe pas. A quel stade en étaient-ils ? Qu’est-ce que tu as ressenti en découvrant leur répertoire ? Et comment es-tu venu à la batterie ?

Luc Durand : J’ai rencontré Melville à l’époque de l’écriture et des démos des premiers titres. C’était la fin de l’ère Chelsea et ils souhaitaient changer de nom. Le répertoire était nouveau pour moi et je n’avais jamais travaillé ce style « pop anglaise ». C’était un nouveau challenge, une nouvelle façon d’appréhender la batterie.J’ai démarré la batterie vers 11/12 ans avec pas mal de cours et formation chez Agostini puis plusieurs groupes: Joe Hell, Jean Robert Jovennet (Extraballe), Tarace Boulba etc.

Quels sont tes meilleurs souvenirs de l’enregistrement de l’album ?

Je garde un souvenir fantastique de la préparation et de l’enregistrement aux studios The Chapel en Angleterre et à ICP à Bruxelles. Les conditions de travail étaient topissimes, nous étions dans une super énergie créatrice. J’ai beaucoup aimé les séances dans ce magnifique studio bruxellois.

Il y a eu des difficultés lors de cet enregistrement ?

Il n’y a pas eu de difficulté notable, je ne me souviens que des bons moments qui furent nombreux.

Quelle est ta chanson préférée de cet album ?

Que le vent t’emporte.

Qu’as tu fait après la fin de Melville ?

Depuis Melville, beaucoup de choses: Sally Nyolo, Frandol, Karpatt, pas mal de contribution dans la « variété française », La Guardia (un album que j’adore concocté et mijoté avec Manu Tellier en 2004. Aujourd’hui, Oaks avec Pierre Palmieri, le deuxième album est au Mastering.

Tu l’écoutes encore ce disque ? Quelles relations entretiens-tu avec lui ?

J’écoute rarement mes albums passés, mais celui ci fait parti de mon top 3, il a superbement vieilli, et le projet était de super qualité, tout était là : les songs, la production, le « band », C’est tout simplement un de mes plus beaux souvenirs de musicien.

Melvillle – Qu’importe ce qu’on dit

Emmnanuel Tellier

Avant Melville, Emmanuel Tellier évoluait dans Chelsea. Après Melville, Emmanuel Tellier enregistra un disque de La Guardia et fonda les 49 Swimming Pools. En 2018, Emmanuel Tellier travaille sur le projet La disparition d’Everett Ruess – Voyage dans l’Amérique des ombres. Ce film sera projeté le 8 décembre 2018 dans le cadre de l’exposition Dorothea Lange au Jeu de Paume (Paris).

Le début de Melville… C’est surtout la fin de Chelsea. Pourquoi avoir mis fin à ce groupe ?

Emmanuel Tellier : Chelsea était une entité fonctionnant à quatre personnes, et l’une des trois – Olivier Descroix, le batteur – n’avait plus envie de continuer : il était entré chez Barclay et baignait désormais dans la musique nuit et jour, je crois que cela avait un peu coupé son envie de s’impliquer dans un groupe au quotidien… Avec Chelsea comme plus tard avec Melville, nous trouvions logique de tourner la page pour de bon en cas de changement de ce type, un musicien qui décide d’arrêter. Même si j’apportais l’essentiel des chansons, comme dans chacun de mes projets depuis, j’ai toujours considéré que la construction du son d’un groupe, de l’identité profonde d’un disque, était un travail collectif. Olivier Descroix avait un jeu de batterie vraiment distinct, très «anglais », parfait pour Chelsea – un son très différent de ce que jouerait plus tard Luc Durand dans Melville. Donc il fallait changer de nom et faire sereinement table rase de ce passé heureux avec Chelsea. Les groupes naissent, vivent et un jour s’éteignent. C’est le cours normal des choses. Un groupe, c’est une association de malfaiteurs en CDD, on n’est pas mariés. Chacun le sait quand ça démarre, et chacun doit l’accepter quand ça s’arrête.

Les Nouvelles du Paradis est publié en 1994… Est-ce que l’amour restera ? est enregistré en 1996. Que se passe-t-il pendant ces deux années ?

Nous n’avons pas marqué de pause, en tout cas je ne crois pas. J’avais un certain nombre de chansons prêtes, dont La Dérive, l’une des premières écrites pour le futur album de Melville, alors nous sommes partis dans le Sud Ouest, au studio du Manoir à Léon – un endroit où travaillait régulièrement Noir Désir. Nous y sommes allés à trois, et là-bas, par obligation – mais finalement aussi par plaisir -, je me suis d’abord installé à la batterie. On a développé quelques titres comme ça, guitare électrique, basse et batterie, façon « power trio ». Comme ça n’est pas mon instrument, j’ai proposé des choses très instinctives, et en tapant plutôt fort. Cela a contribué à définir le son de Melville… Après cette session en trio, nous avons recruté Luc Durand à la batterie, qui a repris mes schémas et y a ajouté sa précision, et le jeu plus ample, plus complet d’un vrai batteur.

Melville fut signé chez V2. Comment la rencontre s’est elle faite ?

Je n’en ai pas de souvenir précis. Je pense que c’était avec ces bandes enregistrées à trois, elles sonnaient vraiment bien… On avait discuté avec Alan Gac, de Rosebud (le label de Chelsea), mais il était d’accord pour nous permettre de progresser avec une nouvelle équipe. Nous connaissions Thierry Chassagne depuis des années – comme lui, nous venions de Tours. Thierry venait d’être choisi par Richard Branson pour diriger V2 en France, et dans le catalogue qu’il avait commencé à bâtir (avec pas mal de rap, notamment Passi), il tenait à avoir un groupe de rock. En Angleterre, V2 avait signé Stereophonics, et je pense que Thierry voulait un groupe « dans la même famille » .

C’est une impression ou vous changez de facto de catégorie avec Melville ? Avec Chelsea, on était dans la catégorie « artisanat ». Avec Melville, les moyens financiers ne sont pas les mêmes.

Oui c’est vrai, et nous en avions bien conscience. V2 avait un beau loft dans le 10ème arrondissement, on y était reçus avec beaucoup d’égards, Thierry avait vraiment mobilisé toute son équipe autour de nous. C’était à la fois très plaisant et extrêmement stimulant. J’ai notamment de très bons souvenirs des échanges avec Armand Thomassian, notre chef de produit – et l’une des personnes les plus passionnées, cultivées et pertinentes dans ce métier… Avec les moyens qu’on nous donnait, nous avons pu acheter du matériel, monter de vraies sessions photos, travailler pour la première fois avec un photographe et graphiste au top pour les deux EP et l’album à suivre, Laurent Seroussi. Et surtout, on nous donnait les moyens de passer plus de temps en studio… Ceci dit, l’aventure avec Chelsea et Rosebud avait été géniale également, et très adaptée à ce que nous étions alors. Alan Gac, à sa mesure, nous avait aussi donné des moyens importants, et nous lui en sommes très reconnaissants.

Le son de Melville est beaucoup plus dur que celui de Chelsea. Pourquoi as-tu eu envie de te diriger vers cette formule ?

Cela s’est fait naturellement, sans que nous ayons vraiment besoin d’en parler, de le formuler. L’espace dévolu à la guitare électrique d’Etienne était plus important que jamais, le nouveau batteur Luc Durand avait ce jeu très tranchant, et au niveau des textes et du chant, j’atteignais une forme de maturité : à trente ans, on ne raconte plus les mêmes histoires qu’à vingt, et surtout plus sur le même ton. Des titres comme La Dérive, Mauvais homme et Que le vent t’emporte ne pouvaient se révéler que dans une forme de tension. Collectivement, je crois qu’on avait tous envie d’aller vers quelque chose de plus brut qu’avec Chelsea, et le recours à la langue française allait nous y aider : je n’écris pas du tout naturellement en français (contrairement à l’anglais, qui est ma langue de cœur), et la seule façon dont je peux le faire, c’est en cherchant une forme d’ascèse, peu de mots, mais avec du tranchant.

Il ne fut pas trop difficile à trouver ce son ? Comment s’est déroulé l’enregistrement ?

Nous avons enregistré en deux phases, d’abord en Angleterre, au studio The Chapel – la majorité du disque -, puis en Belgique à ICP. J’ai le souvenir de quelque chose de facile et naturel. Etienne avait des sons de guitare riches et tranchants, et nous avions décidé de mettre le paquet sur les cymbales et le charleston, tout ce que les musiciens appellent «la ferraille», et que j’adore. Avec une telle ligne directrice – et des chansons pas trop mal ! -, ça ne pouvait que fonctionner.

Pourquoi avoir choisi Phil Vinall pour l’enregistrement ? Pour son travail avec les The Auteurs ? Et pourquoi avoir travaillé avec Erwin Autrique ?

Phil Vinall, qui a mixé, a effectivement été choisi pour son travail avec The Auteurs, et en particulier cette relation guitare électrique/batterie. Erwin, que nous ne connaissions pas, est l’un des deux ingénieurs résidents d’ICP. Tous deux étaient vraiment excellents, dans des rôles et des pratiques différentes : Phil plus rock’n’roll et instinctif, Erwin peut-être plus rigoureux et méthodique. Dans les deux cas, c’était beaucoup de bonheur pour nous.

Quels sont les disques qui ont inspiré Melville ? Qu’écoutiez-vous comme disques lors de l’enregistrement ?

Dur à dire, je ne sais plus. J’imagine des choses comme Monster de REM – entre autres disques de REM. Les RentalsGuided by Voices, Liz Phair, PJ Harvey… Mais je portais surtout en moi des obsessions antérieures, mais dont je n’avais pas fait grand chose avec Chelsea. Je pense à deux choses en particulier : les deux premiers albums de Pavement, que j’adorais, et aussi, peut-être plus surprenant, l’album live des Smiths – qui sonne bien plus dur et bagarreur que leurs albums studio, et que j’avais en permanence en référence, notamment pour le jeu de batterie de Mike Joyce.

Le disque est sorti en 1998 et les choses fonctionnent bien….Si j’en crois l’article Wikipedia de Melville vous vendez 15 000 albums. Vous êtes sur des compilations.. Comment ressens-tu les choses à cette époque ?

On sentait ce frémissement, oui. Mais c’était une toute autre époque : nos clips passaient sur M6 le matin ou tard le soir, les gens nous découvraient comme ça. Et puis les radios : OUI FM nous jouait beaucoup, et nous étions même entrés en «playlist» sur FUN, qui ne passait pas du tout la même musique qu’aujourd’hui. Nous étions heureux de tout ça, c’était excitant.

Vous faîtes des concerts dans des salles assez importantes et des premières parties de groupes comme Blur. Comment le groupe ressentait les choses ? Vous touchiez un public plus large. Melville aurait pu passer un cap et filer vers un succès plus large ?

Oui, Blur au Zénith, et aussi une tournée française avec Stereophonics, et les festivals, Route du Rock, Eurockéennes…. Pour la première fois, on voyait les premiers rangs des concerts reprendre nos paroles en chœur, notamment le single Qu’importe ce qu’on dit. L’effet magique de la radio. A un moment, les gens de la maison de disques, V2, ont commencé à penser qu’on pourrait monter à 40 000 ou 50 000 ventes… Eh bien… non, en fait ! But : no regrets. Jamais.

Quels sont tes meilleurs souvenirs de l’enregistrement du disque ?

En premier lieu, quand j’ai compris, pendant le mixage, que Phil Vinall n’allait pas hésiter à assumer des sons vraiment tranchants. En France, on a un peu la sale manie de ne jamais aller au bout des choses, on en garde toujours sous le coude, histoire de ne pas froisser l’auditeur – ou pire : les responsables de la maison de disques. Avec Phil, quand il mixait Mauvais homme, j’ai compris qu’on ne s’était pas trompés. Le mix a eu lieu dans un vieux studio parisien, mythique, le studio Gang, à Austerlitz. J’ai passé des heures, dans cette salle en bois, à le regarder pousser les boutons dans le rouge.

Quand ont été écrites les chansons de ce disque ? Comment procèdes-tu ? Il y a des chansons qui étaient destinées à Chelsea qui ont terminé dans le répertoire de Melville ?

Je n’ai pas une très bonne mémoire pour ces choses. Je sais juste que Qu’importe ce qu’on dit a été écrit très tardivement. Je le sens quand j’entends la chanson : c’est un groupe en confiance qui l’interprète. On savait que l’album allait être bon.

Et cette pochette ? Pourquoi avoir choisi cette photographie ? Et il faut battre le fer tant qu’il est chaud et être direct… Pourquoi avoir pris le nom de Melville ?

Un accident heureux : le travail de Laurent Seroussi, qui a eu l’idée et a réalisé la photo. Ça tombait bien, car je n’ai pas souvenir que nous ayons vraiment eu une idée de notre côté. Il fallait simplement sortir de l’imagerie très (trop) smithienne des disques de Chelsea… Et à tout pris éviter la pochette avec photo de groupe – je déteste ça.
Pour le nom : Herman Melville.

Quelle est l’histoire de Qu’importe ce qu’on dit ?

Je pense être plus heureux aujourd’hui que je l’étais à l’époque. En tout cas moins embêté par des questions qui peuvent tourmenter à la trentaine : qu’est-ce qu’aimer vraiment ? Jusqu’où peut aller le sentiment de faire corps dans un couple ? Comment lutter contre l’inévitable part de solitude que chacun peut ressentir ? Le texte est plutôt sombre, je n’écrirais plus ça aujourd’hui.

As-tu des regrets par rapport à ce disque ?

Je me reproche – à moi, pas au groupe – une certaine forme de candeur dans les textes. Il y a des faiblesses ici et là… Mais bon, il y a aussi des choses assez fortes, donc ça va. Côté musique, j’assume 90% de l’album, je trouve qu’il a une grande cohérence, et si on le compare à ce qui sortait à cette époque, il tient très bien la route. C’est un disque avec un vrai son de groupe – même si dans les faits, Pierre comme Étienne étaient très pris par leur vie professionnelle, souvent loin de Paris. C’était une frustration pour moi, car j’aurais aimé que nous soyons un peu plus souvent en studio ou en répétition – une frustration que j’ai connue à nouveau récemment avec 49 Swimming Pools, quatre musiciens dans quatre villes différentes, l’une des raisons qui m’a poussé à jeter l’éponge. Il n’empêche que dans les deux cas, Melville comme 49 SwP, la magie a toujours opéré entre nous, et quand on trouvait le bon créneau pour se mettre au boulot tous ensemble, ça fonctionnait toujours.

Le principal regret hors musique, c’est de ne jamais avoir pu enregistrer l’album suivant, qui était pourtant écrit pour moitié – et qui s’annonçait vraiment bien. Mais Thierry Chassage a quitté V2, et la directrice qui l’a remplacé nous a rendu notre contrat.

Pierre Palmieri

Pierre était le bassiste de Chelsea avant de devenir celui de Melville. Il évolue aujourd’hui dans OAKS.

Comment es-tu arrivé dans Melville… Ou plutôt dans Chelsea car tu fais partie de l’aventure depuis le début ?

Pierre Palmieri : Je suis originaire de Tours. Je jouais avec Étienne dans Express, Manu et Olivier jouaient dans Another Country. Nous jouions sur les mêmes scènes et nous partagions le même local de répétition. Nous sommes tous venus à Paris. Manu a remonté un groupe qui s’appelait Chelsea (et qui a failli s’appeler les Arrache-Cœurs). Il a pris contact avec Etienne et moi.

Comment s’est faite la transition entre Chelsea et Melville ?

Nous étions un peu au bout de notre proposition artistique. Nous avions fait trois albums qui avaient une forte coloration anglaise. Le batteur en avait marre et est parti. C’était le bon moment de nous remettre en question. Pendant deux ans nous avons fait un travail de fond. Manu jouait de la batterie et nous avons trouvé un nouveau son. Au bout de d’un certain nombre de mois de travail, nous avions une proposition assez forte. C’était quelque chose de plus rock et surtout nous chantions en français.
C’était un changement très important. J’ai toujours eu un problème avec les groupes de rock français qui chantent en anglais. C’est une façon de ne pas s’exposer. Même si l’âme et les influences étaient les mêmes, ce fut un changement important. Nous avons trouvé Luc sur recommandation de Stéphane Poitevin qui avait travaillé sur le troisième album de Chelsea.

Et comment avez-vous atterri chez V2 ?

Le label de Chelsea était Rosebud mais nous étions sous licence Barclay. Alan Gac avait fondé ce label à l’âge de 17 ans et nous avait signé dès le début. Il était d’ailleurs prêt à produire un quatrième album de Chelsea. Nous avons fait écouter le disque de Melville à quelques personnes. V2, qui venait de se monter en France, a énormément accroché.
Thierry Chassagne dirigeait la division française de V2. Il a racheté les bandes que nous avions faites aux Chapel Studios à Rosebud et nous sommes arrivés chez V2.

Vous étiez aux studios ICP ? Et quand est intervenu Phil Vinall, le producteur des The Auteurs ?

Oui, nous avons enregistré une partie du disque aux studios ICP et une autre partie aux Chapel Studios. Phil Vinall est intervenu pour le mix. Je ne me rappelle pas comment nous l’avons recruté. Mais c’est sans doute via Manu.

Il y avait beaucoup de moyens chez V2 je crois… Vous avez vécu les dernières belles heures de l’industrie musicale.

Nous n’avons jamais eu autant de moyens. Pour aller enregistrer dans les studios d’ICP, il faut des moyens. Le budget dédié à la promotion était important. Et nous avons fait des premières parties importantes: Blur au Zénith ou les Stereophonics sur leur tournée française. Tu n’obtiens pas ce genre de dates sans le soutien de ta maison de disques. Il y avait un engagement personnel de Chassagne. Il n’y avait pas eu cet engagement chez Barclay. Nous étions un groupe bon pour leur image. Cela leur donnait une bonne image d’avoir l’écurie Rosebud dans leur catalogue.

Cela a bien fonctionné pour vous. Vous avez vendu 15 000 albums si je ne me trompe pas.

Oui. C’était bien et pas bien en même temps. Remarque, dans le contexte d’aujourd’hui, ce serait très bien. V2 espérait sans doute un peu plus. V2 a sabré le champagne quand nous sommes rentrés en play-list sur Skyrock. Les choses commençaient vraiment à bouger.

Vous avez fait des concerts prestigieux…

Oui, par exemple, ce concert de soutien au GISTI (Groupe d’Information et de Soutien des Immigrés) avec les Rita Mitsouko, Noir Désir et Louise Attaque… Nous avons joué deux morceaux.

Lesquels ?

Une reprise des Who et Que le vent t’emporte qui est un super titre que j’adorais jouer sur scène. Ce fut notre dernière date.

J’allais y venir après.. Pourquoi Melville s’est arrêté ?

Chassagne était motivé pour sortir un deuxième album. Il y avait une pression sur nous. V2 voulait que nous travaillions avec un arrangeur. Nous étions assez circonspects quant à cette idée. Le deuxième album était prêt. Quinze titres ont été écrits et enregistrés sous forme de maquettes. Deux d’entre eux ont été enregistrés chez ICP. Avec une grosse production…
Le deuxième album était très avancé. La presse nous suivait. Nous avions été la Découverte de l’année pour Rock&Folk.
Melville était toujours signé en éditions chez EMI. Eric Dufaure était très engagé dans notre projet. Avant même que V2 ne nous signe, nous avions le soutien de E.M.I. Editions. Les conditions étaient donc réunies. Mais Thierry Chassagne est parti chez Sony et a été remplacé. La nouvelle équipe ne nous était pas très favorable. Ils nous ont rendu notre contrat, ainsi que les bandes des deux titres enregistrés. Bref. Il y a eu du vague à l’âme. Cela faisait dix ans que nous jouions ensemble… Il aurait fallu que quelqu’un prenne le taureau par les cornes. Manu avait sans doute envie de faire autre chose.

Quel est ton meilleur souvenir de l’époque Melville ?

Il y en a plusieurs. La période aux Chapel Studios est ma préférée. C’était un endroit magique car il s’agit d’une vraie chapelle. Il y avait un son de pierre. Nous avons passé trois semaines dans la campagne anglaise, dans un petit village. L’ambiance y était très particulière. Les petits déjeuners étaient excellents. Nous n’étions pas habitués à cela. Celui qui nous le servait était un anglais avec une vraie gueule. On s’est aperçu après que c’était un grand pianiste qui était là pour se mettre au vert. Il avait joué avec d’artistes connus. La signature dans les locaux de V2 fut aussi un grand moment. Richard Branson était venu pour l’occasion. Et puis la signature chez E.M.I. Editions. Cela s’est fait dans les loges du Zénith de Paris pendant le concert de Blur. Enfin, le concert avec Stereophonics au Bataclan.

Comment le groupe a vécu le changement de statut ?

Nous étions très enthousiastes et motivés. Nous avions plus de succès et celui-ci pouvait avoir des répercussions sur nos vies.
Nous avions aussi plus de pression. Quand tu ouvres pour Blur, tu as intérêt à assurer.

Vous avez perçu le changement de la presse à votre égard. Des titres de Melville apparaissaient sur des compilations comme celles de Rock Sound.

Nous avions pas mal de presse par exemple une double page dans Rock&Folk. Nous avons même fait une conférence de presse lors de notre passage aux Eurockéennes de Belfort. Ce fut la même la chose lors de la tournée des Stereophonics. Il y avait trois ou quatre interviews par soir. On se répartissait le travail en divisant le groupe en deux.

Quelles sont tes chansons préférées de Melville ?

Ceux Qui Nous Ressemblent, Mon Himalaya et Que le vent t’emporte.

Comment écriviez-vous vos chansons ?

Manu écrivait tous les textes. Pour la composition, c’était comme beaucoup de groupes de rock. Un des membres arrivait avec une idée, un second trouvait les accords, etc. Mais Manu était le principal créateur.

Et cette pochette ? Pourquoi un requin ? V2 vous avait fait d’autres propositions ?

Je ne sais pas. Le graphiste avait trouvé un vrai requin et l’avait filmé. Pour le sens caché… Je ne sais pas, c’est un peu bizarre. J’adore la back cover. Avec nous 4 en photos et le texte de Manu dans le livret.

Est-ce que l’amour restera ? de Melville est disponible via V2.

Melville - Et ce que l'amour

Tracklist : Melville - Est-ce que l'amour restera ?
  1. Allez Allez
  2. Qu'importe ce qu'on dit
  3. Ceux qui nous ressemblent
  4. Mauvais homme
  5. La dérive
  6. Il n'y a que toi
  7. Ici
  8. Mon Himalaya
  9. Les résolutions
  10. Que le vent t'emporte

Pouet? Tsoin. Évidemment.
2 réponses sur « [1998 – 2018] Notre amour pour Melville »

Excellente interview!
Marrant, pour la totalité des membres « Que le vent t’emporte » est l’un de leurs morceaux préférés et la vidéo youtube de cette chanson ne figure pas dans cet article…
Je dis ça parce que c’est moi qui l’ai mise en ligne il y a quelques années.
En tout cas, cool de voir que des gens se souviennent encore de ce groupe!

Les commentaires sont fermés.

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49 Swimming Pools @ Le CentQuatre, 02/11/2017

Have You Seen the 49 Swimming Pools ?

Les 49 Swimming Pools ont investi pendant deux soirs une des scènes du CentQuatre, le centre d’art parisien dirigé d’une main de maître par José-Manuel Gonçalvès, pour jouer leur dernier album, How The Wild Calls To Me .
49 Swimming Pools - How The Wild Calls To Me

49 Swimming Pools – How the Wild Calls to Me

« La géographie, ça sert, d’abord, à faire la guerre » écrivait Yves Lacoste en 1976. On lui rétorquera qu’elle sert aussi à faire de bons disques voire d’excellents. La preuve en est avec le nouvel album des 49 Swimming Pools intitulé How the Wild Calls to Me qui nous emmène à la recherche d’Everett Ruess.

Les 49SwP au 104

Emmanuel Tellier et ses 49 Swimming Pools seront de retour cet automne pour présenter La Disparition d’Everett Ruess, Une Histoire Américaine au 104. Les 49SwP sont des gens aimables et courtois. Ils publieront le quatrième album, qui fait office de bande originale à cette pièce de théâtre cet automne.

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